Envoyé spécial à Korntal-Münchingen, Allemagne
Houmam, c’est l’absent. Depuis que Les Jours suivent les Jaamour, cette famille de réfugiés syriens coincés en Grèce, il est partout sans être là. Le deuxième fils de Souhayr et Mahmoud est parti seul de Syrie, le 18 novembre 2015, quatre mois avant le reste de sa famille. Lui est arrivé en Allemagne, après près d’un mois de voyage. Il fallait aller le rencontrer. Me voici donc dépêché dans le Land du Bade-Wurtemberg, dans le sud-ouest de l’Allemagne, emportant dans l’avion un peu de Syrie, de saveurs du pays et des souvenirs que m’a confiés sa famille : un billet en lires syriennes offert par ses parents, une pièce de monnaie de son pays natal transmise par Tammam, un collier de Wissam qui a fait la traversée avec lui… et deux boîtes de pâtisseries orientales achetées à Athènes. Elles ont le même goût qu’en Syrie
, avait glissé Mahmoud.
La rencontre a lieu le 24 juin à 20 h 47, dans la gare principale de Stuttgart. Au jeu des ressemblances, impossible de se tromper : le jeune homme qui m’attend sur le quai 102 a la tête des Jaamour. Direction Korntal-Münchingen, une petite ville de banlieue, à 15 km de la capitale du Land. Dans la chambre de l’appartement où il réside avec d’autres réfugiés, mineurs pour la plupart, Houmam déballe les paquets. Il embrasse le billet et la pièce. Puis il rit aux éclats, en passant discrètement la main sur la petite perle qui a surgi au coin de l’œil. Il montre ces deux souvenirs de Syrie à ses amis. Après, il inscrit son nom sur les boîtes de pâtisseries. Enfin, il pose deux questions : Quand mes parents et mes frères arriveront-ils en Allemagne ? Quand verrai-je ma famille ?
Elles trottent dans sa tête depuis huit mois. Leur seul contact ? Le téléphone pour se parler et s’envoyer des photos. Sur celles que m’ont montrées les Jaamour, il avait une tête d’ado souriant et des cheveux au carré ; il a gardé son sourire mais a décoloré des mèches et s’est fait une coupe qui lui donne des airs de Tintin. Il était mineur ; il a franchi la barre fatidique des 18 ans seul. Jamais, pourtant, il ne se plaint.

Je n’avais pas le choix.
Il s’arrête net. L’heure de fotor, le dîner qui rompt le jeûne du ramadan, a sonné. La chanteuse libanaise Elissa et le groupe de rock jordanien Akher Zapheer en fond musical, Houmam et ses colocataires répartissent dans les assiettes les plats qu’ils ont préparés. Et apprécient en arabe, en farsi, en bengali… Tu pourras dire à mon père que je cuisine bien moi aussi !
, glisse Houmam, clin d’œil à l’appui.
Lui et Samy, un Syrien de 17 ans, forment un duo aux allures de Laurel et Hardy.