L’affaire est emballée en dix minutes, comme prévu. À midi, ils sont une soixantaine à se masser sans un mot au pied de l’immeuble de Canal+, le visage recouvert d’un masque à l’effigie de Stéphane Guy ; à 12 h 10, ils sont partis, toujours masqués, toujours silencieux. C’était le modus operandi de la Société des journalistes de Canal+ (SDJ) envoyé la veille par mail
Il faut voir ces soixante personnes, sur une rédaction qui en compte quelque 150, se regrouper peu à peu. Sur leur visage, des photocopies du visage de Stéphane Guy aux yeux crevés, derrière lesquels ils ont mis les leurs, histoire d’y voir quelque chose. D’abord, ils se rassemblent le long de la cantine au rez-de-chaussée de l’immeuble, sis à Boulogne-Billancourt, en toute proche banlieue parisienne, l’un des sièges de Canal+. À l’avant du groupe, un homme lève le poing gauche. Puis, sur le conseil d’un militant CGT, ils se disposent plutôt devant l’entrée du groupe. Dans leur dos, le logo de la chaîne : ça fera mieux sur les clichés des quelques photographes venus couvrir la manif, ça fichera peut-être un peu la honte aux dirigeants de Canal+ de voir ainsi affiché le fameux emblème d’un certain esprit, la typographie des lettres inclinées, un genre de Futura Bold dessiné par Étienne Robial, avec son « + » tout droit. Et puis ils s’en vont, masqués toujours, à l’aplomb des coursives de verre du bâtiment où, lors de précédentes assemblées générales qui se tenaient au même endroit, certains avaient reconnu des membres de la DRH à l’affût. Toujours sans un mot. L’effet recherché est atteint : sur Canal+, on ne peut plus rien dire.
Nous voulons signifier que nous sommes tous des Stéphane Guy potentiels, tous susceptibles d’être sanctionnés, licenciés abusivement, pour un mot de travers.
Les mots arrivent quelques minutes plus tard, dans un communiqué de la SDJ.