Paris, métro Bréguet-Sabin, ligne 5, 14 heures. À la demande de la préfecture de police de Paris, la rame n’ira pas plus au sud. Une cinquantaine de voyageurs en descendent. Certains vont à la manif qui commence à deux pas, place de la Bastille où le métro ne marque plus l’arrêt ; d’autres ont rendez-vous ailleurs. En haut des marches, un policier en uniforme fait barrage avec un cordon de rubalise, pendant que ses collègues contrôlent le contenu des sacs et palpent les hommes un par un (faute, sans doute, de fonctionnaire féminine à cet endroit-là pour palper les femmes). Embouteillage dans l’escalier, ceux qui attendent s’impatientent. Le régime de Vichy est ouvert !
lance un homme. Et les journalistes sont avec eux !
, complète un autre. Il doit bien admettre, surpris, qu’on est coincés dans le même escalier de métro que lui. Devant, un manifestant porte un dossard CGT, un touriste une grosse valise et un monsieur en costume une barbe et une kippa sous son chapeau. Autour, ça fustige l’État policier
(mais pas trop fort quand même, ils ne sont pas loin).
La préfecture avait prévenu. Le manège de jeudi dernier à Paris, autour du bassin de l’Arsenal, a tourné sans encombre. Les opposants à la loi travail ont donc gagné le droit, ce mardi, de marcher pour de vrai. À quelques conditions près… Dont la mise en place de contrôles systématiques à l’entrée de la manif. Un appel lancé dans Libération a beau dénoncer la mise en cage du droit de manifester
, les règles d’accès sont strictes.
Jeudi dernier, à Rennes (lire l’épisode 29, « Rennes, l’élan de la manif »), le préfet Mirmand s’étonnait que, même après avoir montré leur carte de presse, des journalistes aient été fouillés en marge de la manifestation. Cinq jours plus tard, cette exigence policière a migré vers Paris. Une tentative de négociation avec le gradé sur place, sur le terre-plein central du boulevard Richard-Lenoir, s’avère inutile. Il faut ouvrir toutes les poches du sac. Votre refus constitue un délit
, glisse le CRS, sans donner suite à ma proposition de m’embarquer pour punir ce délit à sa juste valeur. Il préfère photographier ma carte de presse avec son portable : Puisqu’on a eu des problèmes avec vous, on saura que vous étiez là tel jour à telle heure.
Avez-vous un lance-roquettes ou une mitraillette sur vous ?
Sur le trottoir d’en face, l’ambiance est beaucoup plus détendue. Trois jeunes CRS, képi sur la tête et sourire aux lèvres, contrôlent les sacs et palpent ceux qui veulent gagner la place de la Bastille. Ils voient mon carnet et s’amusent :