À Paris, depuis le début de la mobilisation contre la loi El Khomri, le Mili (Mouvement inter-luttes indépendant) est partout : en manif, en AG (lire l’épisode 3, « La rue se prend un coup de jeunes »), dans les conversations aussi. Les plus chouettes de tous les anars parisiens
, selon un libertaire quadragénaire, des casseurs
ou provocateurs
pour ceux qui leur prêtent des méthodes trop expéditives. Si certains défilent à visage découvert derrière leurs banderoles artisanales, beaucoup adoptent volontiers le pack gros pétards-fumigènes-cagoule-lunettes de plongée. Ils marchent vite, donnant aux cortèges une allure imposante, et n’ont pas peur de la police.
L’énergie qu’ils dégagent tend à prouver que la désorganisation est une force. Non pas que le Mili, une quarantaine de lycéens et ex-lycéens de 15 à 23 ans, soit radicalement bordélique. Mais cette bande de jeunes croit dur comme fer à la spontanéité, la souplesse et la libre association par affinités. Dans leur registre, qui va de l’agitation de rue à la préparation de banquets, ils sont diablement efficaces bien que groupusculaires.
Ils fixent les rendez-vous comme ils parlent, vite et sans fioritures, en plein après-midi : Tu viens à P1 [Paris-I, ndlr] ?
me disent-ils. Devant Tolbiac, que des étudiants sont en train de repeindre en rouge, Julien, 20 ans, rameute sur le champ sept ou huit collègues à lui partants pour répondre à mes questions.

Direction la « bibliothèque autogérée de Tolbiac » (BAT), une petite pièce enfumée dans les étages qui sert de local de fortune. La petite troupe – que des garçons – a du mal à se concentrer. Ils s’interrompent en se balançant des vannes introduites par un wesh
sonore, finissent les phrases les uns des autres. Il y en a qui entrent et qui sortent parce qu’une manif sauvage part de la fac tandis que des sirènes de police se rapprochent.
Sans vouloir assigner aux membres du Mili une identité sociale figée, Julien estime que 50 % viennent de l’Est parisien, 30 % de Seine-Saint-Denis et 20 % du Sud parisien
, plutôt des couches moyennes et populaires. Comme lui, Franck et Karim sont élèves au lycée parisien Dorian en octobre 2013, quand éclate « l’affaire Leonarda », l’une des étincelles de leur engagement politique. L’expulsion de la collégienne kosovare Leonarda Dibrani et de l’étudiant arménien Khatchik Kachatryan déclenche un mouvement de solidarité lycéenne, avec son train de blocages et manifestations.
C’est là, au sein de l’assemblée générale inter-lycéenne, que se forme un noyau dur très méfiant quant aux syndicats UNL et Fidl.