Cizre, envoyé spécial
Dès le premier jour à Cizre, des habitants nous en avaient parlé. Dans plusieurs immeubles effondrés, des jeunes, pas tous combattants, s’étaient réfugiés dans les décombres, avant d’être exécutés par les forces de l’ordre. Comment vérifier cela sans témoins, dans une ville restée pendant des semaines sous couvre-feu ?
Mahmuttin se trouvait dans ces décombres. Où, selon sa famille, il a été exécuté. Il avait 51 ans, a priori pas l’âge des jeunes combattants des fractions liées au PKK qui, cet été, ont provoqué la réaction disproportionnée des forces turques, en installant des barricades, en déclarant leurs quartiers indépendants - révolte dérisoire à présent que ces quartiers sont en grande partie rasés. Mahmuttin avait un pick-up, faisait des livraison entre les grossistes en légumes et les petites boutiques, habitait une petite maison rouge qui n’a pas été trop touchée par les bombardements, seulement mitraillée. « Nous sommes restés vingt-trois jours enfermés ici, raconte Lütfiye, son épouse, 42 ans. Puis les bombardements sont devenus plus forts, j’ai décidé de partir. Mon mari m’a dit “si tu es ma femme, tu restes avec moi.” Il ne voulait pas quitter sa maison. J’ai répondu : “moi j’ai cinq enfants, je ne reste pas sous les bombes.” »
Son plus jeune fils, Aram, a 3 ans. Il joue au milieu du salon, dont le sol est couvert de tapis. Des matelas étroits le long des murs servent de banquettes, il y a un poêle au milieu de la pièce.