Il y a cinq mois, Çagla Aykaç était encore universitaire en Turquie, sociologue en sciences politiques, dans une faculté privée d’Istanbul. Lorsque je l’ai rencontrée, un soir de janvier, elle était tendue. Des poursuites venaient d’être engagées contre des enseignants signataires d’une pétition appelant à la paix au Kurdistan. Elle se savait menacée, pénalement et physiquement.
Cinq mois plus tard, Çagla Aykaç n’enseigne plus en Turquie : elle a été forcée à la démission et l’exil. Elle est à Paris ce mercredi soir pour participer à une réunion publique à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS). Trois heures de discussion et de débat sur le thème « Turquie et Grèce : après l’accord UE/Turquie, pour la société civile, les migrants, les Kurdes, quelle situation, quelles solidarités ». Cette soirée, à laquelle je dois participer pour parler de la situation des journalistes turcs, est une excellente occasion de réfléchir de façon panoramique aux liens entre les différentes crises qui secouent aujourd’hui la Turquie.
Çagla Aykaç présentera le combat des « Universitaires pour la paix » (lire l’épisode 1, « Dans la marmite turque »). Ils ont accompagné, à partir de la fin 2012, le processus de paix au Kurdistan, en étudiant notamment la gestion d’autres processus de paix dans des pays au bord de la guerre civile, en Amérique du Sud, en Irlande… Puis ont été parmi les premiers, en janvier 2016, à signer la pétition « Nous ne serons pas complices de ce crime », lorsque les hostilités ont repris au Kurdistan, poussées par un gouvernement alors en chute électorale et qui voulait rallier à lui les nationalistes.
Forcée depuis à la démission, Çagla Aykaç a écrit début mai dans la revue Mouvements un texte qui répond assez bien aux critiques adressées par les nationalistes aux signataires de la pétition. Elle est actuellement « hôte académique » de l’université de Genève. Les universitaires suisses, allemands, anglais, se mobilisent pour soutenir et accueillir les chercheurs turcs menacés. Plus que leurs collègues français. Pour les organisateurs – la section de l’EHESS de la Ligue des droits de l’homme –, c’est l’enjeu important de la soirée. Au-delà des bilans, des prises de position, des indignations collectives, les universitaires français doivent désormais s’organiser pour mettre en œuvre de façon très pratique l’accueil de leurs collègues turcs menacés et qui doivent provisoirement poursuivre leurs recherches à l’étranger.
Martin Pradel, membre de l’Union internationale des avocats et du Groupe d’action judiciaire (GAJ) de la Fédération internationale des droits de l’homme, sera là pour rappeler la répression qui s’abat également sur les avocats et les magistrats en Turquie.