Elle a hésité un peu avant d’accepter le rendez-vous, de venir un soir dans un café d’Istanbul témoigner pour Les Jours. Elle était restée silencieuse jusque-là, elle est éreintée. L’année universitaire qui s’achève en Turquie a été très éprouvante pour les enseignants. Plus de 1 000 d’entre eux sont poursuivis, menacés, pour avoir signé une pétition (lire l’épisode 1, « Dans la marmite turque ») appelant au retour du processus de paix au Kurdistan. Esra Mungan, maître de conférences, a passé 40 jours en prison pour avoir lu publiquement un communiqué de presse collectif (à télécharger ici) précisant les raisons de l’engagement des universitaires pour la paix. Ils étaient quatre à se relayer pour lire, ce 10 mars 2016 devant le Egitim-Sen, un syndicat d’enseignants. Deux jours plus tard, le procureur lançait un mandat d’arrêt contre eux.
La justice est presque totalement sous l’influence du Président en Turquie
, soupire Esra Mungan. Spécialiste des processus de mémoire et d’oubli et des perceptions musicales au département de psychologie cognitive de l’université Bogaziçi d’Istanbul, elle est accusée de propagande pour une organisation terroriste
, a été emprisonnée à la prison pour femmes de Bakirköy à Istanbul. Elle raconte pour Les Jours les conditions de vie dans l’unité politique de l’établissement, sa rencontre avec les détenues de droit commun, la solidarité entre les prisonnières « politiques ». Et sa détermination renforcée à se battre pour la paix au Kurdistan.
Les policiers sont venus le 14 mars au matin à son domicile. Elle ne s’y trouvait pas, elle était en cours. Son avocat lui a alors conseillée de se rendre d’elle-même à la police. Le procureur avait demandé la détention provisoire des universitaires, et comme lui-même n’était pas disponible pour l’instant, les enseignants ont dû passer la première nuit au commissariat. Le lendemain, trois d’entre eux étaient incarcérés (la quatrième se trouvait en France), le tribunal estimant qu’il existait un risque qu’ils s’enfuient.

En prison, Esra Mungan a d’abord été mise à l’isolement, dans une cellule d’observation réservée théoriquement aux condamnées à perpétuité
. C’est illégal. « J’y suis restée neuf jours, raconte-t-elle.