Au milieu de la nuit, Anna, une Française qui vit à Istanbul, reste debout sur son balcon. « Il y a des bruits de coups de feu et des hélicos qui tournent sans cesse, m’écrit-elle. Toutes les lumières sont éteintes mais dans les maisons, par les fenêtres, on voit les lumières des écrans de télévision et des portables. Garder son sang froid, garder son sang froid… Certes mais quand même, l’ambiance est oppressante. » Un coup d’État militaire était en cours en Turquie, il semble avoir fait long feu ce matin – mais aussi au moins 260 morts, selon le gouvernement. Le temps d’une longue nuit, les opposants à Tayyip Recep Erdogan peuvent se demander s’ils préfèrent un coup d’État militaire, ou la démocratie à la sauce Erdogan.
Izzeddin Calislar devait aller à Paris vendredi pour voir David Gilmour en concert. Il a annulé après l’attentat de Nice et se trouvait dans Istanbul quand le coup d’État a commencé. Vers 21 heures, les soldats ont fermé les deux ponts, spécialement colorés en bleu-blanc-rouge en hommage aux victimes françaises. Cela m’a fait penser à une alerte terroriste. Tout le monde se demandait ce qu’il se passait. D’où je me trouvais, je pouvais observer tout le long du Bosphore. Les gens dansaient sur les bateaux sans aucun souci. Ils ne savaient rien du tout. Sur l’eau, la vie ordinaire coulait. Mais là-haut, c’était l’enfer. Des hélicos militaires camouflés passaient si près de nous, et les F16 déchiraient le ciel, cassaient les vitres des bâtiments, terrifiaient les citoyens. Quand j’ai lu quelques tweets de journalistes proches de l’AKP, j’ai compris que c’est sérieux car ils appelaient à une résistance contre l’armée.

En même temps que les soldats coupent l’accès aux ponts d’Istanbul ainsi que d’importantes voies d’accès dans les principales villes, des chars prennent position devant l’aéroport. Une sidération s’empare des citoyens, qui se ruent immédiatement sur les réseaux sociaux, rapidement coupés, comme à chaque fois qu’il se passe quelque chose d’important dans le pays. Les chaînes de télévision, désormais quasiment toutes acquises à Erdogan, relatent les événements, menés, expliquera plus tard le pouvoir, par une minorité au sein de l’armée
. La gendarmerie et une partie de l’armée de l’air serait impliquées. Dans la soirée, un Conseil de la paix dans le pays
publie, sur le site du ministère de la Défense, un communiqué informant de la mise en place de la loi martiale et d’un couvre-feu sur l’ensemble du territoire.