Il y a quelques jours, dans un grand numéro dont il en a le secret, Recep Tayyip Erdogan a demandé pardon au peuple turc de ne pas avoir vu à quel point les disciples de Fethullah Gülen avaient infiltré toutes les administrations et l’armée. Le prédicateur installé aux États-Unis est accusé d’avoir fomenté la tentative de coup d’État du 15 juillet dernier, en s’appuyant sur sa confrérie, structurée discrètement à partir des années 70 (lire l’épisode 1), puis développée économiquement et devenue un réseau tentaculaire et élitiste (lire l’épisode 2). Bien sûr, c’est un mensonge. Le Président turc sait précisément l’emprise et l’influence de la communauté. Il s’est même servi d’elles pendant des années, les a renforcées, tant qu’il était allié avec Fethullah Gülen.
Les deux hommes se sont rarement rencontrés. Une photo les montre en 1995 au mariage d’une vedette du football turc, Hakan Sükür, membre de la confrérie güléniste et futur député AKP. Ils représentent alors deux courants distincts de l’islamisme turc, ont des objectifs très différents.

Recep Tayyip Erdogan est guidé depuis sa jeunesse par une ambition politique très forte et un islamisme longtemps radical. Au moment du mariage, il est maire d’Istanbul depuis 1994, appartient au Refah (Parti de la prospérité), à qui Gülen reproche de transformer l’islam en machine à conquérir le pouvoir. Le Refah est alors tout près d’y parvenir. Le « maître » d’Erdogan, Necmettin Erbakan, figure historique de l’islamisme turc (qu’Erdogan évincera soigneusement quelques années plus tard), est nommé Premier ministre en juin 1996. ll ne le restera qu’un an, avant que l’armée et la justice laïques le déposent et envoient en prison Recep Erdogan.
Les minarets seront nos baïonnettes, les coupoles nos casques, les mosquées seront nos casernes et les croyants nos soldats.
Dès sa nomination, Erbakan visite officiellement l’Iran et la Libye, pays au ban de la communauté internationale. Des manifestations de rue se succèdent pour réclamer l’établissement de la charia en Turquie. Et une municipalité gérée par le Refah organise fin janvier 1997 une reconstitution de la « guerre des pierres » palestinienne devant l’ambassadeur d’Iran, qui promet que Dieu punira
ceux qui passent des accords avec Israël… Ç’en est trop pour l’armée, autoproclamée gardienne des institutions laïques, qui fait défiler ses chars et impose au Premier ministre une série de dix-huit mesures afin de lutter contre les extrémistes religieux
. Erbakan signe piteusement le document pour éviter un putsch, puis il abandonne le pouvoir en juin 1997. Le Refah est