La rupture entre Recep Tayyip Erdogan, alors Premier ministre de Turquie, et Fethullah Gülen, prédicateur d’une confrérie accusée d’avoir fomenté le coup d’État du 15 juillet, remonte au tout début des années 2010. À l’époque, la communauté, structurée discrètement dans les années 70, développée économiquement dans les années 90 avant de s’allier au Premier ministre Erdogan pour écarter les élites laïques, tient quasiment tous les postes stratégiques dans le pays. Mais son fondateur commence à critiquer le gouvernement.
Gülen expliquera quelques années plus tard que la personnalisation du pouvoir autour de Tayyip Recep Erdogan le choquait. Pour commencer, il pointe certaines décisions du Premier ministre, comme l’appui de l’État à la flottille internationale tentant début 2010 de forcer le blocus israélien autour de Gaza. Pour Gülen, cette initiative (qui se terminera par une attaque meurtrière de l’armée israélienne) était vouée à l’échec. D’autres critiques se font entendre : sur l’enlisement du processus d’adhésion à l’Union européenne, sur la politique étrangère, notamment en Égypte et en Syrie, ou encore sur l’attitude vis-à-vis du PKK. Erdogan ne répond pas. Il continue d’aider les gülénistes à accéder aux postes qu’ils réclament. Qu’est-ce qu’ils m’ont demandé que je ne leur ai pas donné ?
, demandera-t-il quelques mois plus tard, quand la brouille se précisera.
L’année 2011 est importante pour comprendre la rupture. Cette année-là, l’AKP remporte largement les législatives de juin, frôlant même les 50 %. Le ménage a été fait les années précédentes, avec l’aide des gülénistes, au sein de la justice et de l’armée. Erdogan va commencer à s’appuyer sur le peuple et sur les cadres de son parti, moins compétents que les gülénistes mais plus fidèles, pour diriger le pays. Il n’a plus besoin de Gülen et ne va plus le ménager.
En février 2012, la brouille devient publique lorsqu’un procureur membre de la confrérie lance une enquête au sujet des négociations secrètes entamées depuis quelques mois entre le PKK et le MIT, les renseignements turcs. Le magistrat veut entendre quatre de ses agents, dont l’un des contacts du Premier ministre, au sujet de rencontres clandestines avec Abdullah Öcalan, leader kurde incarcéré et membre d’une organisation classée terroriste. Le chef du gouvernement le prend très mal. Quelques jours après l’initiative, il fait voter en urgence une loi soumettant la convocation d’agents du MIT à son autorisation.

L’autocratie du Premier ministre se révèle, va aller croissant mais se heurter dans un premier temps aux résistances gülénistes.