«J’ai disque d’or mais cela grâce au stream / Donc jaloux écrivirent tweets hostiles. » Dans le titre d’ouverture de son deuxième album, Ipséité, le rappeur belge Damso pose le problème en deux lignes serrées : lorsque son premier disque, Batterie faible, a été certifié disque d’or en France fin 2016, de nombreux internautes et musiciens ont émis des doutes sur la réalité de ce succès obtenu principalement grâce au streaming. Damso aurait triché en payant pour générer des « faux streams » et faire gonfler ses chiffres.
La suspicion est toujours là début 2018, à l’heure d’écrire ces lignes, presque un an après mon enquête sur le même sujet (lire l’épisode 6 de La fête du stream saison 2). Partout où je suis allé pour les besoins de cette série d’articles sur le rap et le streaming, la question de la fraude est revenue sur la table. Et chaque fois, dans les yeux de mes interlocuteurs, il y avait un mélange d’excitation, de préoccupation et d’incompréhension. C’est Universal qui accuse Sony, Sony qui incrimine Warner, le producteur de tel rappeur qui dénonce l’autre… Chacun affirmant aussi dans la foulée « ne pas toucher à ça ».
Alors je m’y suis remis. Pour savoir si un système de fraude ne m’aurait pas échappé, mais aussi pour savoir pourquoi les rappeurs sont systématiquement visés – et eux seuls, en fait. L’un d’entre eux, Rohff, a d’ailleurs remis deux euros dans le flipper ces dernières semaines en attaquant les récents bons chiffres de Booba sur Instagram, « Moi je triche pas je cherche pas à m’acheter une victoire en stream afin que les médias m’encensent je suis pas un produit liquide vaisselle prêt à tout pour briller !! […] L’authenticité le pur talent et la durée ne se mesurent pas avec des chiffres robotisés. » Le musicien de Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne) annonçait au passage que, dans ces conditions, il ne sortirait son nouvel album qu’en CD et en téléchargement. On attend de voir ça.

Le problème, c’est donc que tout le monde parle d’une fraude généralisée parmi les stars du secteur sans avoir aucune preuve à apporter. Aucune source, aucune piste solide parmi les dizaines que j’ai suivies pour cette enquête. Les maisons de disques, en particulier les majors, n’ont tout simplement pas accès aux données d’écoutes en ligne qui pourraient leur permettre d’étayer leurs accusations… ou de comprendre précisément les comportements des nouveaux auditeurs du streaming. On m’a donc parlé à l’envi de « gens qui font ça » sans jamais me prouver la triche.