Face à son écran, Philippe est tendu comme un arc. Le dos courbé, la mâchoire crispée, les jambes agitées sous sa chaise pivotante, on dirait un félin prêt à bondir. Debout derrière lui, son copain Yannick lui masse la nuque comme un coach de boxe soucieux d’apaiser son champion. Mais sa colère ne s’estompe pas. Il grogne des merde
et des bordel
à tort et à travers. Ça fait dix minutes que je suis bloqué à l’étape quatre sur huit !
, s’étrangle-t-il. Voilà plus de trois heures qu’il tente de s’inscrire sur le site de Pôle emploi, une démarche qui se fait par internet depuis le 1er mars. Des messages d’erreur, en rouge et précédés d’un pictogramme de danger, freinent Philippe à chaque page.

La veille, ce quadragénaire aux traits tirés était encore boucher chez Super U, mais sa période d’essai s’est terminée sans contrat à la clé. Dès 8 heures du matin
, il s’est donc attelé à s’inscrire au chômage depuis chez lui. Lors de ses dernières périodes sans emploi, il procédait par téléphone. En deux minutes, c’était fait.
Cette fois, sur internet, ça a bugué
. Philippe a alors sauté dans sa voiture en direction du Pôle emploi de Montargis, son voisin Yannick sur le siège passager. Ce cariste à la barbe fournie est aussi placide que Philippe est électrique. Sa mission d’intérim se termine en septembre et il doute qu’elle soit reconduite. L’inscription de Philippe chez Pôle emploi lui sert de répétition générale.
Dans le hall d’accueil (lire l’épisode 2, « La cocotte-minute »), les deux hommes ont pris place derrière un ordinateur de la « zone de libre accès ». Une douzaine de postes dépannent les chômeurs qui n’en possèdent pas chez eux ou ne savent pas les utiliser. Les demandeurs d’emploi sont de plus en plus contraints d’effectuer les démarches par eux-mêmes, car Pôle emploi « dématérialise » ses services. L’opérateur pousse aussi les inscrits à communiquer avec lui par e-mail plutôt que par courrier. Beaucoup de chômeurs se retrouvent pourtant démunis face à ces technologies. Des jeunes en service civique ont été mobilisés pour les aider. Ce jour-là, deux d’entre eux sont en formation. Il reste Ludivine, équipée d’un gilet bleu, épaulée par un conseiller, Abderrahman Hamdoun.

À son arrivée, Philippe a jeté ses clés de voiture près du clavier et tenté de reprendre la procédure à zéro. C’est donc la quatrième étape qui l’a fait sortir de ses gonds. L’écran réclame qu’il précise l’année d’obtention de [son] diplôme
, un CAP, alors que Philippe vient de la mentionner.