Ce 12 novembre, dernière douce soirée d’automne, dernière soirée avant que Paris ne bascule dans autre chose, les 3e B vont voir un spectacle au Cent-Quatre, lieu culturel parisien plutôt branché situé à quelques centaines de mètres de leur collège. Durant toute l’année de troisième, les élèves étudient des œuvres pour l’épreuve d’histoire des arts du brevet. Le programme est libre et les enseignants en profitent pour organiser des sorties autour de ces œuvres, des rencontres avec les artistes. Récemment, les troisièmes sont ainsi allés à Versailles voir les sculptures géantes d’Anish Kapoor. Là, Antoine Labaere, leur professeur principal, a choisi le spectacle d’un chorégraphe qu’il aime particulièrement, Aurélien Bory. Un spectacle pas facile, abstrait et lent, surtout pour des élèves de 15 ans. On verra bien
, sourit-il.
Pour se rendre au Cent-Quatre, il suffit d’enjamber le pont de la rue Riquet, qui permet de traverser les voies ferroviaires partant de la gare de l’Est. Mais Jean-Louis Terrana, le principal, est tendu. Depuis plusieurs semaines, ces voies ferrées, ligne de démarcation entre les XVIIIe et XIXe arrondissements de Paris, sont le théâtre de bagarres de plus en plus violentes entre bandes d’adolescents. Jean-Louis Terrana a rappelé deux jours plus tôt le bilan aux parents de la 3e B, pour qu’ils comprennent la nécessité de ne pas laisser leurs enfants rentrer seuls après le spectacle et plus largement pour qu’ils ne les laissent pas traîner dans le quartier : un jeune dans le coma, un autre défiguré par des coups, un dernier au poumon perforé.
L’un des élèves de la 3e B a été personnellement menacé. Quelques jours avant la sortie au Cent-Quatre, ses parents sont venus voir Antoine Labaere pour demander à changer leur fils de collège. Mais l’élève concerné est là ce soir. Le principal le garde à l’œil.
Dans cette ambiance, ce qui devait être une tranquille escapade culturelle de l’autre côté du pont prend l’allure d’un convoi de diligence. Une voiture de police escorte la classe le long du trajet et des agents de médiation de la ville encadrent les élèves. Le commissariat a prévenu que c’était ça ou pas de sortie du tout. Le principal est préoccupé. Il ne comprend pas ce que se veulent ces gamins
, pourquoi cette violence, pourquoi des élèves si jeunes. Depuis des semaines, il ressasse ces interrogations sans trouver de réponses.
Contemplatif, ça veut dire qu’il va y avoir des longueurs. Donc je ne veux pas vous entendre. Compris ?
Policiers et médiateurs laissent le groupe à l’entrée du Cent-Quatre. Et tout le monde passe à autre chose.