Sur Skype, seule dans sa chambre en France, sous un voile intégral, à l’insu de sa famille, Safya s’est mariée. Néophyte dans le milieu jihadiste qu’elle ne fréquente virtuellement que depuis six mois, ce mode d’union religieuse la laisse d’abord songeuse. « Y avait personne, j’étais toute seule dans ma chambre. Je me suis vraiment posé des questions. » En dehors de leurs échanges en ligne depuis quelques semaines, elle n’a encore jamais rencontré son futur mari. Elle a simplement vu ses selfies de Syrie sur Facebook, jouant d’une iconographie à mi-chemin entre le hip-hop de quartier et le Bédouin du VIIIe siècle, posant en valeureux mujahid (« celui qui fait le jihad »), avec sa kalachnikov, son turban, son kamis et ses baskets. Medhi et Safya ne viennent pas de la même région mais ont à peu près le même âge et des codes sociaux communs. Ils ont tous les deux grandi en cité. Avant d’embrasser le jihad, ils se sont tous les deux réislamisés au contact de proches salafistes quiétistes. Tous les deux sont nés en France, issus de l’immigration maghrébine, de milieux populaires, et ont reçu une éducation religieuse. Au moment du mariage, lui est à Raqqa, cette ville syrienne dont l’EI a fait sa capitale à partir de 2014. Ils ont été mis en relation par l’intermédiaire d’une « sœur » que Safya a connue sur Facebook, dans des groupes de discussions pro-EI, réservés aux femmes. Derrière son écran en France, Safya s’étonne de la situation. Mais, de Syrie, son futur époux religieux la rassure. « J’ai dit : “Attends, c’est trop bizarre de faire ça sur Skype.” Il m’a dit : “Non t’inquiète, ça se passe comme ça.” »
Dans les unions jihadistes, les sentiments amoureux priment moins que les convictions religieuses et politiques. Les rencontres ne sont jamais le fruit du hasard. Elles résultent souvent de petites annonces postées sur les réseaux sociaux. Au début des années 2000, elles étaient diffusées sur Paltalk, un des ancêtres du web social actuel, puis sur Facebook et, aujourd’hui, le plus souvent sur Telegram. Elles fleurent autant la poésie et le romantisme que celles du Bon Coin pour la revente d’un meuble d’occasion : «