Avant de rejoindre l’État islamique, elles étaient étudiantes en France, comme des milliers d’autres. Elles sont revenues, mais continuent de vouloir quitter ce pays et de considérer le projet jihadiste comme positif. Comment en sont-elles arrivées là ? Safya et Lena ont accepté de nous rencontrer et de nous raconter leur trajectoire, pendant plusieurs mois. Elles ne se connaissent pas mais affichent des profils sociologiques et des motivations similaires. Elles ont à peu près le même âge – moins de 25 ans – et ont grandi dans un quartier populaire de province, « en cité », avec des familles non divorcées, entourées de plusieurs frères. Nées en France, chacune est issue de l’immigration maghrébine, titulaire du bac, technologique pour l’une, général avec mention pour l’autre. Elles étaient plutôt bonnes étudiantes en master à la faculté avant de rejoindre l’EI. Lena se montre d’ailleurs passionnée de littérature classique. Toutes deux ont reçu une éducation religieuse, notamment Lena, à l’école coranique dès l’enfance, avant de s’en éloigner à l’adolescence pour y revenir de façon radicale et précipitée à sa sortie, tout juste passé les 20 ans.
« À un moment, on a toutes vécu un traumatisme », confesse Lena pour expliquer la bascule féminine dans le jihad. Avant de se reprendre et de nuancer. La majorité peut-être pas, mais beaucoup de femmes croisées en Syrie affichaient des parcours chaotiques. « Pas toutes mais beaucoup, oui. J’ai connu des filles qui ont eu de lourds passés. Une, des attouchements sexuels et des viols par son père ; une autre, c’était des embrouilles avec ses parents qui l’ont menée à plusieurs séjours en hôpitaux psychiatriques, des violences, ses parents qui la battaient. Après, il y a beaucoup de converties qui s’embrouillaient avec leurs parents qui ne supportaient pas l’islam. Tout simplement. » Elle-même a-t-elle adhéré à cette idéologie après un événement émotionnel particulier ? « Non, non, dit-elle, hésitante. Après, j’ai eu un problème durant mon adolescence mais c’est pas un truc qui va faire que je prends mes bagages et que je me barre. On s’en remet très vite. C’est rien, c’est une petite épreuve de Dieu. » Elle n’en dira pas davantage.
Safya, qui assure n’avoir subi aucun traumatisme, se montre moins convaincue par cette grille de lecture. « Après, une fille qui s’est fait violer et qui arrive à en parler, bravo. Surtout à un homme », concède-t-elle cependant.