Depuis son arrivée, la famille n’a pas éveillé les soupçons. Le fils, Yassin, a été grièvement blessé au combat. Les parents, tous deux médecins, ont tourné le dos à leur confort matériel en France pour venir le chercher et, afin de donner le change à l’État islamique (EI), ils travaillent à l’hôpital de Raqqa et forment les médecins de l’EI. Aux yeux des jihadistes, ils font figure, avec leurs deux filles, d’émigrés modèles et méritants. Malgré cette bonne image, encore faut-il trouver un bon prétexte pour obtenir une autorisation officielle de sortie du territoire. Car toute sortie est désormais interdite. Tout désir de retour en arrière peut être assimilé à de l’espionnage. Or, une condamnation pour espionnage au sein de l’EI peut déboucher, en dernier ressort, sur la peine de mort.
L’excuse, expliquent aux Jours les parents de Yassin, sera d’aller chercher à la frontière turque leur troisième fille, enceinte et prétendument désireuse, elle aussi, de rejoindre le califat. Pour ce déplacement, Faycal obtient l’autorisation de son émir, « Abu Noël », que les parents de Yassin ont surnommé ainsi en raison de sa barbe blanche (lire l’épisode 5, « Les médecins français de Raqqa »). L’assistant de l’émir dresse le document officiel ; il propose même de les accompagner. La route est dangereuse et une simple erreur de direction à une intersection risquerait de les conduire dans les bras du camp ennemi, derrière les lignes pro-Bachar. Fayçal décline poliment.

Ce premier document permet d’en obtenir un second, auprès cette fois de l’« office de l’émigration et de la hijra du wali de Raqqa ». Ce nouvel organe, dernier-né de la bureaucratie de l’EI, est notamment chargé de lutter contre les désertions. Elles sont de plus en plus nombreuses. Environ 250 déçus français du jihad en Syrie ont fait le chemin inverse, selon les chiffres du ministère de l’Intérieur, soit quasiment un jihadiste sur quatre. L’instance d’émigration fournit un papier officiel, un laisser-passer pour franchir le poste-frontière de Tal Abyad. Située à 90 km au nord de Raqqa, cette petite ville est, à ce moment-là, le principal point de passage entre l’EI et la Turquie. Tout y passe : marchandises, combattants et réfugiés.
La famille prévient son avocate en France.