Dans ses vidéos de propagande, l’État islamique (EI) ne fait pas seulement étalage marketing de son ultraviolence. Dans sa prétention à incarner un véritable État, le groupe abreuve aussi les réseaux sociaux d’images d’infrastructures déjà fonctionnelles, accaparées par la force durant sa phase de conquêtes entre 2013 et 2015 : services d’urbanisme, usines de pain, pâtisseries, boucheries, réfection des routes, installations électriques, éboueurs mais aussi hôpitaux. Les branches médiatiques de l’organisation présentent régulièrement ces services de santé comme des technologies de pointe, gratuites pour tous les musulmans et dans lesquelles travaillent des médecins spécialistes venus du monde entier, en particulier d’Occident pour mettre leur savoir-faire au service du califat de Bagdadi. Les parents de Yassin, partis chercher leur fils blessé, y ont travaillé et l’ont vécu de l’intérieur. Ils ont découvert, expliquent-ils aux Jours, une réalité bien différente de ces images d’Épinal de l’EI.
Le grand hôpital de Raqqa, en plus d’instruments médicaux vétustes, est d’abord confronté à une pénurie de médecins qualifiés. La plupart des Syriens qui y travaillaient ont fui lorsque l’EI s’est progressivement emparé de la ville entre fin 2013 et début 2014. Pour remédier à ce déficit de main-d’œuvre, l’EI aurait recours, selon le récit de la famille de Yassin, à une pratique surprenante. L’organisation emploierait des chirurgiens venus en bus de Damas, le camp pourtant ennemi, contre une forte rémunération, sans pour autant être membres du groupe. On ne comprenait pas comment ils pouvaient passer. Ils sont payés très cher. Ce sont des Syriens qui ne font pas partie de l’État islamique mais ils aident, ils opèrent, ils se chargent des blessés mais il faut les payer. C’est donnant-donnant mais c’est pas du bon boulot. S’ils étaient de l’EI, ils n’auraient que les 50 dollars.
Nadia et Fayçal, eux, touchaient en revanche cette somme de 50 dollars mensuels, en tant qu’administratifs.

Le groupe a plusieurs fois annoncé l’instauration de sa propre monnaie, le dinar-or, sans jamais encore parvenir à le faire. Ironie du sort, tous ses salaires, toutes ses transactions, sont versés en devise américaine, un des pays au monde les plus honnis des jihadistes. Cette dollarisation de l’économie et l’afflux de combattants étrangers auraient même fait augmenter le coût de la vie à Raqqa.