Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin va-t-il multiplier les prises de parole anti-immigrés pour peaufiner son image de futur présidentiable très à droite ? Les Républicains (LR) vont-ils faire un concours avec le Rassemblement national pour savoir qui est le plus extrémiste ? Enfin, la Nupes (Nouvelle Union populaire écologique et sociale) va-t-elle réussir à exister dans un tel contexte alors que, depuis des semaines, elle se déchire sur fond de conflit Israël-Hamas ? Tels sont les nombreux enjeux du débat parlementaire qui s’annonce avec la loi « immigration », ou plus exactement avec le projet de loi « pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration », dont l’examen en séance commence ce lundi 6 novembre au Sénat.
Après avoir été annoncé dès la réélection d’Emmanuel Macron, puis repoussé par le gouvernement à plusieurs reprises faute de trouver une majorité pour le faire adopter, le texte arrive au Parlement. « Enfin », se féliciteront certains. « Encore », se dit-on plutôt face à cette nouvelle loi sur l’immigration qui vise à durcir les conditions des étrangers présents sur le sol français. La trentième en ce sens depuis 1980 : en moyenne, il y a eu une loi sur l’immigration tous les dix-sept mois depuis quarante-trois ans, calculait ainsi Mustapha Harzoune, journaliste de la revue Hommes et migrations. Cependant, malgré cette impression de déjà-vu, on prendra notre ticket pour un siège dans les tribunes presse du Parlement, et on vous fera vivre des débats qui risquent, comme à chaque fois depuis le début de cette législature, d’être animés.
Comment, cette fois-ci, le gouvernement veut-il durcir la condition des étrangers présents sur le sol français ? D’abord en facilitant l’expulsion des personnes déboutées du droit d’asile, via une prolongation de la durée de validité des obligations de quitter le territoire français (les OQTF) et en supprimant des voies de recours pour les personnes visées par ces OQTF. Il veut aussi généraliser la « double peine », c’est-à-dire les départs hors de France des délinquants non-français, et imposer de nouvelles conditions pour obtenir un titre de séjour, comme le fait de réussir un examen de français.
Mais, parce que la majorité ne veut pas apparaître (totalement) comme une annexe de la droite, le texte prévoit aussi des mesures favorables aux immigrés, notamment l’article 3 qui permet aux sans-papiers travaillant dans des métiers dits « en tension » (dont la définition reste à préciser) d’être régularisés. Et c’est ce point-là qui fait débat (entre la droite et la majorité) et va constituer le principal suspense du débat parlementaire. Depuis des mois, Les Républicains disent qu’ils ne voteront pas une telle disposition qui serait un « appel d’air » pour les futurs migrants. La majorité, elle, hésite et, suivant les interlocuteurs, laisse entendre que ce point est indispensable pour que le texte final soit « équilibré » ou, au contraire, que tout est négociable et l’article 3 pourrait être retiré.
Cet « en même temps » macroniste a été à l’origine d’une belle confusion il y a à peine quinze jours. Le 24 octobre, Gérald Darmanin a ainsi rencontré les députés de la majorité et leur a assuré qu’il soutiendrait l’article 3. Mais, dès la réunion terminée, Le Parisien révèle qu’au cours d’un dîner à Matignon la veille avec le patron des sénateurs LR, Bruno Retailleau, Élisabeth Borne avait laissé entendre que l’article 3 pourrait être retiré du texte de loi et remplacé par une simple circulaire gouvernementale. Une solution d’ailleurs évoquée publiquement quelques jours auparavant par son ministre du Travail, Olivier Dussopt. Dans une interview au Télégramme, ce dernier avait dit être « ouvert sur les modalités » d’adoption du texte sur les métiers en tension, en citant « la loi, le décret ou le règlement ». Matignon refusant de commenter ce qui s’était dit au cours de l’échange avec Retailleau, on n’était pas plus avancés sur les intentions gouvernementales deux jours plus tard, en écoutant la version du chef des sénateurs LR. Sur Sud Radio, l’élu vendéen a démenti qu’Élisabeth Borne lui ait dit qu’elle « allait retirer l’article 3 de ce texte » mais a assuré que la Première ministre aurait affirmé que l’article 3 n’était pas « son choix ». « Elle m’a confirmé que cette idée folle de créer un droit automatique à la régularisation des clandestins, ce n’était pas une bonne idée », a déclaré Retailleau. Si vous en déduisez ce que va décider Élisabeth Borne, écrivez aux Jours !
L’enjeu pour la majorité macroniste, c’est qu’elle est relative et qu’elle a besoin, si ce n’est du soutien d’autres formations, du moins de leur abstention. Et là, cela implique de faire de l’arithmétique parlementaire, c’est-à-dire d’anticiper les réactions des sept groupes d’opposition qui composent l’Assemblée nationale. L’hypothèse la plus probable, c’est que les LR votent tous les articles sauf le 3 mais que ce dernier soit quand même adopté grâce à la gauche. C’est ce qu’a laissé entendre le député socialiste Arthur Delaporte : « On pourrait voter l’article 3 », a-t-il déclaré sur LCP. Mais cela ne fera que repousser le moment critique : lors du vote final sur l’ensemble du projet de loi, que se passera-t-il ? Depuis le début de la mandature, la majorité a fait passer ses textes grâce à la droite qui soit a voté pour, soit s’est abstenue, et ce même lors des quinze 49.3 déposés depuis dix-huit mois (le dernier datant du 30 octobre, lors du vote du budget). Le 20 mars, lors du débat sur les retraites, la motion de censure déposée par le groupe Liot avait échoué à dix voix près : le gouvernement avait pu bénéficier de l’abstention de la majorité des LR.
Cette fois-ci, tout pourrait cependant ne pas se passer aussi bien. Éric Ciotti, président des Républicains, a indiqué que pour refuser l’article 3, son groupe pourrait déposer une motion de censure. Le député des Alpes-Maritimes « assume d’aller jusqu’au bras de fer avec le gouvernement » et a par ailleurs lancé une « grande pétition nationale » afin de « réformer notre Constitution par référendum » et ainsi dire non à « l’immigration incontrôlée ». Une prise de position qui ne présage pas un compromis avec le gouvernement et qui semble faire consensus à droite. Interrogé sur France Info cette semaine, Bruno Retailleau a adopté une position maximaliste, affirmant qu’il ne fallait « pas de faiblesse » et que l’article 3 consistait à dire « au monde entier » : « Venez, venez, pénétrez nos frontières illégalement, ne vous inquiétez pas, vous aurez un job et surtout, on va vous régulariser. » Rien ne dit cependant que cette éventuelle motion de censure de droite soit votée par la gauche et le Rassemblement national. Le premier secrétaire du PS Olivier Faure a fait savoir que ce serait non, les autres groupes ne sont pas exprimés sur cette éventualité.
En attendant, avec le passage de la loi au Sénat, où la droite est majoritaire, on devrait assister à une surenchère dans le discours anti-immigration. En commission, les élus LR ont déjà adopté de nombreux amendements durcissant le texte (cela s’est passé en mars, lorsque le texte avait été déposé par le gouvernement, avant qu’il ne le retire de l’agenda parlementaire). Au programme : la transformation de l’aide médicale d’État en aide médicale d’urgence (pour limiter les soins remboursables dont peuvent bénéficier les étrangers), la réduction de la délivrance des visas et une révision des règles pour bénéficier du regroupement familial