«Quand une personne décède sur la Méditerranée, son corps peut être amené par les courants d’un côté comme de l’autre de la mer. Cette réalité ne concerne pas que les Européens. Nous savons, par exemple, qu’en Tunisie, il y a un cimetière avec 400 corps repêchés dans la mer. Nous devrions avoir une approche commune pour tout le bassin méditerranéen. » Dans les bureaux parisiens du CICR, le Comité international de la Croix-Rouge, l’anthropologue légiste José Pablo Baraybar ajuste ses petites lunettes et ponctue ses explications de gestes. Le soleil peine à illuminer le bureau en rez-de-chaussée, on dirait qu’il est resté perché quelque part au-dessus du Sahara, du côté d’Agadez, au Niger, que j’ai quitté quelques semaines plus tôt. Ce jour-là, à Paris, le printemps prend du retard, la grisaille s’étire d’une journée à l’autre.
Cela fait bientôt trois ans que le chalutier bleu qui transportait PM390047 et près de 800 autres personnes a coulé au large de la Libye. C’était le 18 avril 2015, le point de départ de cette obsession (lire l’épisode 1, « PM39047, un mort en Méditerranée »). José Pablo Baraybar appelle ce naufrage « le cas de Catane ». C’est dans cette ville sicilienne que les 28 rescapés ont été évacués. Un an plus tard, en juillet 2016, l’épave du bateau, renflouée par la marine militaire italienne, est arrivée à la base de l’Otan à Melilli, à 45 km de Catane. En quinze jours, les pompiers ont sorti 456 sacs mortuaires de la cale.