Souvenirs lugubres et dérangeants de crimes impunis, les fantômes de dizaines de victimes dorment dans des dossiers remplis de procès-verbaux en papier jauni, tapés à la machine il y a des décennies. Leurs proches attendent quelquefois de retrouver leurs corps, de découvrir les noms de leurs assassins, l’histoire de leurs derniers instants. Plus simplement, ils ont l’intense désir qu’on en finisse avec ce sentiment d’abandon, ce deuil impossible qui les ronge. Olivier Le Gall, qui approchait, à 53 ans, de sa retraite de gendarme, a voulu être leur dernier espoir, puisqu’il en a pris le goût comme enquêteur officiel pendant plus de vingt ans : « La petite musique a commencé il y a longtemps à tourner en moi », dit-il. Depuis août 2022, ce quinquagénaire sportif, sourire en coin, méthodique, travaille à plein temps dans le privé, dans le département d’aide aux victimes du cabinet d’avocats Seban, et c’est en France une première juridique qui fera peut-être date.
Contrairement aux systèmes légaux anglosaxons où pullulent les gigantesques cabinets d’investigation privés telle que l’agence Pinkerton aux États-Unis, la justice française ne les accepte pas juridiquement dans le pénal. Ils sont donc cantonnés aux affaires civiles – adultères, escroqueries à l’assurance ou arrêts maladie abusifs. Il y a pourtant un chemin encore vierge, qui consiste pour les avocats de victimes de crimes non élucidés à tenter d’ouvrir des pistes et de les proposer aux enquêteurs officiels, sans se mettre à leur place. S’il n’est pas possible, comme aux États-Unis, de réaliser des actes d’investigation, des auditions, des recherches recevables en justice, rien n’interdit de plonger dans les dossiers, de chercher des témoins, de possibles faits nouveaux, puis de demander officiellement aux « vrais » enquêteurs d’intégrer ces éléments en procédure. La voie est étroite et c’est contre la culture des avocats français, peu proactifs en cette matière, même si la méthode est utilisée ponctuellement. Les magistrats peuvent avoir du mal à accepter qu’elle se systématise. Mais pourquoi cet univers ne changerait-il pas de posture, notamment dans ces fameux « cold cases », ces crimes anciens, où un œil neuf est justement nécessaire pour relancer les investigations ? La justice est aussi une aventure. Le nouveau pôle judiciaire de Nanterre, spécialisé dans ces cold cases (lire l’épisode 1,
