C’est l’histoire d’une bande de farceurs, anars, bouffeurs de curés, pourfendeurs des militaires, des flics et de l’ordre établi, sur laquelle a dégringolé une horreur planétaire, une montagne de souffrance et de chagrin (lire l’épisode 1, « “Charlie Hebdo”, 11 h 33, les visages se figent »). Réduite après la tuerie à quelques anciens meurtris dans leur chair et dans leur âme, rejoints par quelques timides petits nouveaux, la bande vit désormais dans un bunker quelque part dans Paris, entourée de molosses policiers en costumes qui ne la quittent pas. Les rescapés dessinent leurs plaisanteries depuis cinq ans dans ce coffre-fort équipé d’une « panic room » avec, en plus des escortes, une noria de gardes privés qui grève le budget du journal. C’est leur vie, désormais.
Mercredi, cette bande est arrivée dans un tribunal transformé en forteresse, porte de Clichy à Paris. Une ceinture de fourgons de police, une voiture à chaque carrefour alentour, des hommes lourdement armés partout, des portiques et trois points de contrôle et de fouille avant d’arriver aux salles d’audience. Il faut imaginer le rire de Cabu, Wolinski, Tignous, Honoré, les quatre dessinateurs tués dans l’attaque, s’ils avaient pu assister à cette ironie surréaliste du destin : des clowns « trash » ayant publié jadis des unes comme « Chirac est une bite à lunettes » ou montrant Jésus sodomisant dieu le père, venir demander justice dans un château fort, protégés par une escouade d’uniformes à mitraillettes.
Sans doute les défunts auraient-ils dessiné quelque chose comme le « bal tragique à Colombey » publié par Hara-Kiri, ancêtre de Charlie, à la mort du général de Gaulle en 1970.