Mardi matin, l’ouverture du procès des agresseurs de Clément Méric devant la cour d’assises de Paris a réservé quelques surprises. D’une, les « skinheads » se sont laissé pousser les cheveux. De deux, il manque un accusé. Si Esteban Morillo et Alexandre Eyraud sont bien présents, Samuel Dufour n’arrive pas. L’assistance patiente, dans la salle rénovée en bois clair tout droit sortie de l’esprit malade d’un architecte de tribunaux. Le vaste box de verre est vide, puisque les trois accusés doivent comparaître libres. Morillo et Eyraud, pesant chacun un bon quintal, sont assis sur des chaises si rapprochées qu’ils semblent encastrés l’un dans l’autre. Morillo – tout en noir – ressemble à un gros bébé aux joues roses, son coaccusé – tout en bleu – a un physique plus passe-partout, les oreilles légèrement décollées et l’air un peu bas du front. Le public est invisible depuis la mezzanine réservée à la presse, puisqu’il se trouve pile en-dessous. Seuls les deux premiers rangs, occupés par la famille Méric et les antifascistes victimes de la rixe, dépassent à l’aplomb du balcon. Les avocats passent le temps en allant fumer dehors ou en plaisantant avec une dessinatrice : « Faites-moi beau. Et lui, faites-le mince. »
Une bonne heure passe avant que la présidente, en toge rouge décorée d’hermine, n’apparaisse. Puisque Samuel Dufour est « introuvable et injoignable sur son téléphone portable », Xavière Siméoni décide de suspendre l’audience jusqu’en début d’après-midi, espérant le retrouver d’ici là. La rumeur de palais raconte que l’accusé a envoyé un texto énigmatique à ses avocats : « Commissariat ». Il est bien là à la reprise, portant des lunettes et des tatouages qui dépassent des manches de son pull. Le boulanger était arrivé devant le tribunal très tôt, voire trop tôt. À 8 h 26, des policiers l’ont contrôlé, en lui expliquant qu’ils « cherchaient des signalements comme moi » (sans doute les tatouages plutôt que les lunettes, mais il n’a pas précisé). Samuel Dufour a eu beau leur dire qu’il devait être jugé ce matin, il n’avait pas sa convocation sur lui et les agents l’ont conduit au commissariat pour vérifier avant de le relâcher, à 10 h 48. Il s’installe finalement sur une chaise près de ses avocats, à plusieurs mètres de ses deux coaccusés.
La solennité légendaire des assises tient parfois à peu de choses. Une fois ce mystère résolu, l’audience peut commencer, très en retard, par le tirage au sort des six jurés dont les noms tombent dans une urne en bois avec un « cloc » sonore. La présidente fait ensuite le point sur les nombreux témoins appelés à se présenter devant la cour. Cinq ans après les faits, certains semblent difficilement joignables, d’autres font preuve de mauvaise volonté. C’est le cas de Serge Ayoub, ancien patron du Local et du groupuscule nationaliste Troisième Voie, qui a fait parvenir à la cour un courrier accompagné d’un certificat médical. Selon son généraliste, « Batskin » n’est pas en mesure de se déplacer pendant une semaine. « Je vous tiendrai au courant de l’évolution de ma santé », écrit Serge Ayoub dans sa lettre, ajoutant un petit couplet bien à lui sur les « risques de trouble à l’ordre public » et de « provocations » que comporterait cette audience : « Il est hors de question que le drame de cette affaire se réitère et qu’une fois agressé, je sois obligé de me défendre. » Stéphane Calzaghe, l’un des ex-mis en examen finalement appelé à témoigner, invoque une incompatibilité avec ses vacances en Corse. Quant à Katia Veloso, ancienne compagne d’Esteban Morillo également mise en examen l’espace de quelques mois, c’est son travail en milieu hospitalier, victime d’un manque d’effectifs, qui l’empêcherait de se présenter. Pour entendre ces trois témoins-clés, la cour a toutefois prévu d’insister.
Dans l’après-midi, Xavière Siméoni présente son rapport, sorte de résumé de l’enquête servant de point de départ aux débats. Elle revient sur les causes de la mort de Clément Méric, due à « au moins trois coups » reçus au visage selon les experts médicaux, peut-être assénés avec un poing américain. Les témoignages et les positions de chaque accusé au cours de l’instruction sont également évoqués, même si leurs versions sont susceptibles d’évoluer au fil de l’audience. La présidente prend le temps d’en appeler au « respect de la personne de Clément Méric et des trois personnes que nous aurons à juger », demandant à tous que le procès se déroule dans « la sérénité » et « la quiétude ». Elle a entendu dire qu’il y avait « beaucoup d’agitation dans le périmètre du palais ». Il est vrai que le « Comité pour Clément » et les antifascistes ont prévu de se rassembler quotidiennement jusqu’au 14 septembre, dernier jour d’audience. Quelques dizaines de personnes tournent entre la salle d’audience, les couloirs qui y mènent et la cour de la Sainte-Chapelle. Il y a des amis de Clément, des militants syndicaux, de jeunes antifascistes en survêt. Mais ce premier jour n’a été marqué par aucun incident. On a connu plus mouvementé pour des procès où la dimension politique est si forte. Les soutiens de la famille Méric ne cherchent pas à tout prix à accéder à la cour d’assises et l’extrême droite semble déterminée à ne pas se montrer.
Comme dans tout procès, les faits doivent être examinés à la lumière de la personnalité des accusés. Plusieurs heures ont déjà été consacrées à retracer leurs parcours scolaires, leurs engagements politiques et leurs projets d’avenir – nous en reparlerons dans le prochain épisode. La nuit était déjà tombée quand la mère d’Esteban Morillo a pu sortir de la salle des témoins pour s’avancer vers la barre. À 58 ans, Colette Morillo a semblé peser chaque phrase pour s’adresser à la cour et évoquer « les erreurs de jugement ou d’amitié » de son fils, qui a toutefois « toujours fait face à ses responsabilités ». Elle a tenu, aussi, à « dire un mot aux parents de Clément Méric » pour leur signifier simplement, malgré tout ce qui les sépare, que sa famille à elle « a beaucoup pleuré avec eux ».