Il ne faut pas parler des Wildenstein aux Rosenberg. Les yeux se lèvent au ciel, les soupirs fusent, les mains s’agitent. « Cela fait de longues années qu’il n’y a plus aucun contact, ni aucune chaleur, entre nos familles », cingle la galeriste new-yorkaise Marianne Rosenberg. Autrefois partenaires, ces deux dynasties juives et pionnières du marché de l’art ont peu à peu pris leurs distances, au cours des années 1930. La Seconde Guerre mondiale a définitivement marqué leur rupture. Depuis, les deux lignées ont pris des chemins opposés. Aujourd’hui, les Rosenberg récupèrent, au compte-goutte, des œuvres qui leur ont été spoliées sous l’Occupation ; les Wildenstein, eux, enchaînent les procès et s’efforcent de garder la main sur une fortune évaluée entre 5 et 10 milliards d’euros. Depuis le 18 septembre, les héritiers Wildenstein comparaissent pour fraude fiscale devant la cour d’appel de Paris (lire l’épisode précédent, « Les Wildenstein, de père en fisc »). La somme que leur réclame le fisc est folle : 550 millions d’euros, le plus gros redressement de l’histoire de la justice française.
Installée à la terrasse d’un café parisien à deux pas de l’Hôtel de ville, Marianne Rosenberg ne veut pas commenter le feuilleton judiciaire de ses anciens amis. « Ils s’en sortent toujours », se borne-t-elle à lâcher. Il est vrai que les marchands d’art impressionnent, inquiètent ou fascinent le pouvoir politique. Dans les années 1960, le ministre des Affaires culturelles André Malraux « avait une bête noire, le fameux marchand de tableaux Georges Wildenstein, l’un des hommes les plus puissants dans le marché de l’art international. À lui seul, il incarnait un État, la firme Wildenstein and co, une autorité, un pouvoir incontestés », établissait en 1980 le critique Pierre Cabanne dans son essai sur Le pouvoir culturel sous la Ve République.
Monsieur Georges possédait deux résidences, à Paris et à New York, des collections admirables, plusieurs galeries d’art, et ce qu’il appelait lui-même son “stock”, le plus fabuleux ensemble de tableaux de tous les pays.
Combien de toiles la famille possède-t-elle ? Et quelles sont-elles ? Se trouve-t-il parmi elles des chefs-d’œuvre inconnus ou oubliés ? « Monsieur Georges possédait deux résidences, à Paris et à New York, ajoutait Pierre Cabanne, des collections admirables, plusieurs galeries d’art, et ce qu’il appelait lui-même son “stock”, le plus fabuleux ensemble de tableaux de tous les pays, de toutes les écoles, de tous les maîtres et de tous les styles de tous les temps, qui occupait ses chambres fortes de New York, aussi bien gardées que le Pentagone et aussi secrètes que le Vatican. » Or, la justice française soupçonne le clan de dissimuler plusieurs milliards d’euros au fisc, grâce à un montage financier labyrinthique, constitué d’un enchevêtrement complexe de trusts, de paradis fiscaux exotiques