Valérie Pécresse va-t-elle se succéder à elle-même et profiter de cette victoire pour se présenter ensuite à la présidence de la République ? La gauche réussira-t-elle à s’allier malgré ses divisions ? L’étiquette La République en marche (LREM) suffira-t-elle à remplacer l’absence totale de notoriété ? Jordan Bardella va-t-il s’imposer comme le nouveau visage du Rassemblement national ? Tels sont, entre autres, les enjeux de l’élection régionale en Île-de-France, dont le premier tour se tient dans dix jours, le dimanche 20 juin. Car, oui, peut-être ne l’avez-vous pas remarqué, mais nous vivons actuellement les derniers jours d’une campagne électorale. Une campagne très particulière, puisque, Covid oblige, elle se déroule pratiquement sans meetings et que les électeurs ont plus la tête à retrouver leur vie d’avant la pandémie qu’à lire des professions de foi. L’abstention risque d’être massive (le scrutin régional étant traditionnellement peu mobilisateur), mais Les Jours font leur devoir de citoyen et décryptent les chances des principaux candidats.
Élue de justesse présidente de région en 2015 (elle avait alors mis fin à dix-huit ans de gestion socialiste en Île-de-France ), Valérie Pécresse aborde cette élection avec confiance. Son bilan fait l’objet de peu de critiques de la part de ses concurrents et la présidente de Soyons libres (ou juste Libres !), son mouvement perso d’abord créé au sein des Républicains avant qu’elle ne quitte le parti en 2019, jouit d’une bonne image dans l’opinion, même auprès des sympathisants de gauche. Il est loin le temps où cette ancienne ministre de Nicolas Sarkozy manifestait avec les opposants au mariage pour tous. Aujourd’hui, Valérie Pécresse n’incarne plus la catholique versaillaise coincée : elle défend une « droite gaulliste et sociale » qui veut proposer une « troisième voie entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen ». Un signe de ce changement d’image ? La liste des artistes qui la soutiennent, pas franchement encartés à droite. À la présentation de son programme pour la culture, ce lundi, au théâtre parisien La Scala, on pouvait voir le producteur et acteur Dominique Besnehard, qui a dit « apprécier beaucoup Valérie Pécresse, malgré les différences de sensibilité politique », la dessinatrice et réalisatrice Marjane Satrapi ainsi que le comédien Robin Renucci. Le chanteur Gims a aussi enregistré une vidéo pour dire qu’il était « fier de collaborer depuis maintenant quelques années avec Valérie Pécresse » pour « mettre les talents en avant »
À la lecture de son programme, on trouve aussi des propositions qui ne dépareilleraient pas dans celui d’un candidat écolo ou socialiste. Valérie Pécresse désire créer un « fonds d’investissement stratégique » pour entrer au capital des entreprises en difficulté du fait de la crise sanitaire. Elle souhaite que « 100 % des villes » soient débarrassées des « pesticides et des perturbateurs endocriniens ». Enfin, elle veut continuer à offrir une « prime de 500 euros pour l’achat d’un vélo électrique » (offre en vigueur depuis 2020) et elle propose de poursuivre la construction du « RER V », soit « 600 kilomètres de pistes cyclables » suivant les lignes de RER et qui était à l’origine une idée portée par le collectif Vélo Île-de-France.
Attention, on vous rassure, la présidente de la région est toujours bien de droite. Cela se voit immédiatement en l’écoutant parler de sécurité. Valérie Pécresse est fière d’avoir installé 80 000 caméras de surveillance dans les transports en commun et veut pousser plus loin l’expérience en y ajoutant le recours à l’intelligence artificielle et à la reconnaissance faciale pour faire des « vidéo patrouilles » et ainsi s’attaquer « aux harceleurs de femmes », aux « pickpockets » et aux « personnes recherchées pour des faits de terrorisme ». Est aussi prévu le « doublement des brigades régionales mobiles de sécurité » (des agents avec uniforme « formés à la médiation en milieu scolaire » pouvant être appelés par les lycées en cas de problème), la formation de 9 000 policiers municipaux et l’équipement en armes de ces derniers. Enfin, dans sa profession de foi envoyée aux électeurs, Valérie Pécresse désigne clairement son ennemi : « Une gauche radicale et décroissante qui a perdu le sens de la République et de la laïcité. »
Prenez l’Insoumise Clémentine Autain, qui affirme être « sur une ligne d’ouverture et de rassemblement de la gauche et des écologistes », ajoutez le secrétaire national d’Europe Écologie - Les Verts (EELV) Julien Bayou, qui se dit « prêt » à « explorer les conditions d’un rassemblement au premier tour » avec les socialistes et La France insoumise (LFI), et enfin Audrey Pulvar, qui, forte de l’investiture du PS, se présente comme tête d’une « liste de gauche écologiste ». Mélangez le tout et… vous continuez à avoir trois listes différentes. À l’opposé de ce qui se passe dans les Hauts-de-France, les trois principales formations de gauche n’ont pas réussi à s’entendre pour proposer une liste unique. L’union est donc repoussée au deuxième tour.
En attendant, on assiste à une sorte de primaire où il faut regarder de très près pour saisir les différences entre les candidats. Ainsi, quand Julien Bayou met « seulement » 500 millions d’euros sur la table pour le logement social et les aides à la rénovation thermique, Clémentine Autain propose deux fois plus : « Un milliard pour construire 35 000 logements sociaux par an et financer un plan de rénovation thermique des logements. » La candidate LFI est en revanche moins ambitieuse que son concurrent écolo sur les cantines. Son objectif n’est « que » de « 80 % de produits bios et 50 % issus de circuits courts dans la restauration scolaire » et d’« un repas végétarien par semaine » quand Julien Bayou envisage, lui, des « cantines 100 % bios, de proximité et sans plastique » et « un choix végétarien quotidien ».
Ce petit jeu de la différenciation peut parfois mal tourner et donner l’impression que les candidats sont plus motivés par taper sur les copains que sur la droite ou l’extrême droite. Ainsi, sur la question de la gratuité des transports. Clémentine Autain la veut pour « les moins de 25 ans et tous les allocataires des minima sociaux », Audrey Pulvar pour tout le monde (sans qu’on comprenne vraiment comment elle compte financer la mesure). « Fausse bonne idée », lui répond Julien Bayou, « vu les nécessités d’investissement et le coût de fonctionnement du futur Grand Paris Express ». Réaction, agacée, d’Audrey Pulvar : « Peut-être qu’il manque d’ambition et qu’il ne prend pas les transports comme moi je les prends le matin et en soirée. » D’ailleurs, pour prouver qu’elle ne mentait pas, sa colistière Emmanuelle Cosse a publié sur Twitter une photo d’elles deux en train de prendre le tramway (avant de la supprimer face aux moqueries).
Pour l’électorat de gauche, choisir entre les trois en ne tenant compte que des programmes s’avère donc compliqué. Faut-il alors privilégier des critères plus personnels ? Par exemple, s’intéresser au parcours des candidats et soutenir la constance de Clémentine Autain qui, dès 2001, avait fait alliance avec le PS (élue apparentée communiste, elle avait été nommée adjointe de Bertrand Delanoë à la mairie de Paris) ? Ou alors mettre en avant la capacité à s’opposer bruyamment à la majorité macroniste, et voter pour Audrey Pulvar qui a réussi à faire la une de l’actualité avec ses propos sur les réunions non mixtes et sa dénonciation de la présence de Gérald Darmanin à une manifestation de policiers ? Peut-être enfin que les électeurs de gauche seront sensibles (pas forcément en bien d’ailleurs) au changement de look de Julien Bayou. Jusqu’à récemment, on avait l’habitude de voir le militant écolo avec des cheveux ébouriffés et habillé d’un simple T-shirt. Pour l’élection, le candidat s’est coupé les cheveux et porte maintenant une cravate (il l’arborait ainsi ce mercredi soir lors d’un débat sur France 3 entre les principaux candidats). Il paraît que c’est pour « asseoir sa crédibilité ». Cela donne surtout l’impression que l’intéressé vit avec des valeurs datant des années 1960 quand Johnny Hallyday chantait Cheveux longs, idées courtes…
Drôle de choix que celui de Laurent Saint-Martin pour conduire la liste LREM. Personne ne connaît cet homme de 35 ans (sauf Les Jours : il est l’un des personnages de l’obsession Macronomics) qui occupe à l’Assemblée nationale le poste de rapporteur du budget et qui est tout sauf une grande gueule. Mais c’est un choix par défaut en fait : Jean-Michel Blanquer a renoncé en janvier dernier, officiellement « accaparé » par la conduite du ministère de l’Éducation nationale mais peut-être aussi refroidi parce qu’il avait peur de connaître un destin à la Agnès Buzyn. Pour muscler sa candidature, la Macronie a adjoint à Laurent Saint-Martin plusieurs poids lourds du gouvernement : le porte-parole Gabriel Attal, en dernière position dans les Hauts-de-Seine, la ministre de la Fonction publique Amélie de Montchalin tête de liste dans l’Essonne, et surtout Marlène Schiappa, numéro 1 à Paris.
Du coup, ce sont surtout les interventions de la ministre déléguée à la Citoyenneté que l’on retient. Qu’elle danse et saute près du canal Saint-Martin, qu’elle porte la contradiction à Jordan Bardella sur LCI ou qu’elle attaque Valérie Pécresse sur sa proximité passée avec la Manif pour tous. Une stratégie efficace : l’équipe de campagne de la présidente de région s’est sentie obligée d’organiser une conférence de presse sur Zoom pour répondre à ces accusations et dénoncer « les approximations et la mauvaise foi » de Marlène Schiappa (en l’occurrence à juste titre). Mais il faut bien ça pour faire vivre une campagne quand le programme de LREM ressemble comme deux gouttes d’eau à celui de la présidente sortante. Ainsi, la principale innovation présentée par Laurent Saint-Martin est la création d’une « police régionale » qui, quand on la regarde dans le détail, ressemble beaucoup à la police régionale des transports déjà mise en place par Valérie Pécresse au cours de son mandat.
Au Rassemblement national (RN), on fait simple. La sécurité étant la principale mesure du programme, on martèle le message. Ainsi, pas de liste interminable avec tous les points à développer dans la profession de foi (cela doit être un truc de gauchiste). À la place, au recto, une photo de Jordan Bardella avec Marine Le Pen accompagnée du slogan « Le choix de la sécurité », et, au verso, un court texte dans lequel on explique aux électeurs, « confrontés chaque jour aux incivilités, à la violence, au harcèlement dans la rue comme dans les transports en commun », qu’en choisissant la liste RN, ils voteront pour « faire de la sécurité la priorité de l’action régionale ». D’ailleurs, la principale mesure mise en place une fois l’élection gagnée serait le déploiement de « deux agents de sécurité armés dans chacune des gares et stations de métro ». Cette stratégie pas très fine a un avantage : elle oblige les autres candidats à ne pas éviter le sujet, et bien souvent, à approuver un tel constat apocalyptique. Ainsi, au cours du débat sur France 3, ce mercredi, on a entendu Julien Bayou dire qu’« il faut dire la vérité. Oui, il y a un problème de sécurité, en particulier en Île-de-France ».
À la différence d’autres régions (Provence-Alpes-Côte d’Azur, par exemple), le RN a peu de chances de l’emporter. Le discours du parti d’extrême droite passe bien dans les territoires ruraux de la région (aux élections européennes en 2019, le RN était arrivé en tête en Seine-et-Marne, avec 24,4 % des suffrages), mais pas à Paris ou dans les Hauts-de-Seine, les deux départements les plus riches de France. Pour Jordan Bardella, l’enjeu principal sera donc de faire mieux que le score de Wallerand de Saint-Just qui, en 2015, avait obtenu 18,4 % au premier tour et 14 % au second. Et d’ainsi prouver que, après sa victoire aux européennes, le jeune vice-président du RN peut prétendre incarner le futur du parti.
D’habitude, dans une élection, la règle est simple, résumée par cette maxime : « Au premier tour, on choisit ; au second, on élimine. » Cette fois, les électeurs pourraient continuer à avoir un large choix le 27 juin, second dimanche d’élection, à la faveur d’une règle électorale accommodante : toute liste récoltant plus de 10 % des suffrages peut se maintenir au second tour, sans tenir compte du niveau de participation. En 2015, le scrutin s’était joué après une triangulaire (PS, UMP, FN) ; en 2021, on pourrait bien avoir une quadrangulaire (avec Pécresse, Saint-Martin, Bardella et une liste d’union de la gauche), voire une quinquangulaire ou une sexangulaire si les candidats de gauche n’arrivent pas à s’entendre. Une hypothèse qu’il ne faut pas exclure : ainsi, Audrey Pulvar a conditionné toute fusion à l’acceptation par les autres candidats à gauche de la gratuité des transports. Clémentine Autain ne l’envisage que si sa liste arrive en tête. Bref, tout est en place pour obtenir un scrutin complexe à souhait, avec des enjeux peu lisibles. Alors, Franciliens, motivés pour aller voter ?