«Ce n’est pas ma faute si l’Élysée est une auberge espagnole ! Ce n’est pas un contrat, c’est un torchon ! » Plus de deux heures, déjà, qu’Emmanuelle Mignon, ancienne directrice de cabinet de Nicolas Sarkozy de juin 2007 à juillet 2008, est à la barre. Et le ministère public s’énerve. Aucun budget n’est inscrit dans la convention qui lie l’Élysée à Patrick Buisson, conseiller occulte du chef de l’État, issu de l’extrême droite. Le document lui confie une mission d’analyse rémunérée 10 000 euros hors taxe par mois, mais octroie à sa société Publifact « l’exécution des sondages », à sa libre appréciation. L’instruction du Parquet national financier (PNF) a permis d’identifier 235 sondages commandés à des instituts par Publifact et revendus à l’Élysée avec « une marge moyenne de 65,75 % », entre 2007 et 2012, pendant le mandat de Nicolas Sarkozy. Emmanuelle Mignon, qui a signé la convention, bataille face au ministère public : « Je suis arrivée dans une institution défaillante. […] Vous ne pouvez pas me reprocher tous les dysfonctionnements de l’Élysée qui sont antérieurs à mon arrivée ! »
Un peu circonspect, le président du tribunal, Benjamin Blanchet, demande à l’ex-directrice de cabinet, juriste chevronnée issue du corps du Conseil d’État, de raconter quand elle a réalisé que le Code des marchés publics n’était pas appliqué à l’Élysée. Lors de l’organisation de l’arbre de Noël de 2007, explique Emmanuelle Mignon, le budget prévisionnel alloué aux festivités devant accueillir 140 enfants lui semble un peu excessif. Les services du Château l’informent alors que les fournisseurs de jouets ne sont pas mis en concurrence. C’est précisément ce que lui reproche l’accusation concernant les dépenses de sondages signées de sa main en faveur de Patrick Buisson : aucune mise en concurrence n’a été organisée pour ce lucratif marché. Elle est poursuivie pour « favoritisme », au même titre que le secrétaire général de l’Élysée à l’époque, Claude Guéant, suspecté d’avoir organisé la commande au conseiller occulte. Lorsqu’Emmanuelle Mignon a reçu la convention sur son bureau, elle était déjà signée par Patrick Buisson et accompagnée d’une carte de visite du secrétaire général avec ce petit mot : « E. Mignon : merci de mettre le contrat à la signature et de faire retour d’un exemplaire à P. Buisson. »
À ce « dysfonctionnement » concernant les règles entourant les appels d’offres s’en ajoute un autre, structurel, jamais évoqué directement au cours des débats au procès des sondages de l’Élysée