Le mardi 6 avril, les téléspectateurs américains ont pu croire à un canular quand ils ont vu et entendu Mitch McConnell, l’inamovible chef de la minorité républicaine du Sénat, interpeller les grandes entreprises et les inviter à rester en dehors de la politique. Dans un langage inhabituellement vert, McConnell, ciblant Coca-Cola, Delta Airlines et la ligue professionnelle de base-ball (Major League Baseball), dont il a qualifié le comportement de « stupide », leur a rappelé que les républicains aussi boivent, prennent l’avion et aiment le base-ball. Quelle mouche a donc piqué McConnell, à la tête d’un parti conservateur dont l’une des finalités est de défendre les intérêts de ces grandes entreprises depuis au moins l’entre-deux-guerres ? Le même McConnell avait d’ailleurs applaudi des deux mains, au printemps 2010, lorsque la Cour suprême, par son arrêt « Citizens United », avait libéralisé le financement des campagnes électorales en accordant aux entreprises les mêmes droits d’opinion politique protégés par le Ier amendement qu’à des individus.
McConnell réagissait en fait à la controverse nationale, peut-être la première de cette ampleur depuis de la présidence Biden, née d’une nouvelle loi électorale votée en Géorgie. Cette loi, SB 202 de son petit nom, votée par la législature conservatrice et signée par le gouverneur républicain Brian Kemp, restreint la période de disponibilité du matériel de vote anticipé par correspondance et impose aux électeurs de fournir un document d’identité visé par l’État. Elle limite l’usage des boîtes de dépôt des bulletins par correspondance dans chaque comté et empêche l’utilisation de bureaux de vote mobiles comme ceux employés lors de l’élection de 2020. La loi interdit aussi à toute autre personne qu’un assesseur de fournir de l’eau ou de la nourriture à des électeurs faisant la queue. Beaucoup de ces mesures ont immédiatement amené les démocrates à crier à la restriction du droit de vote, en particulier contre la minorité africaine-américaine. La première à réagir a été l’ancienne candidate au poste de gouverneur Stacey Abrams, dont le travail de mobilisation électorale et de lutte contre la discrimination des minorités aux urnes, via son organisation Fair Fight Action, a été central dans la victoire présidentielle de Joe Biden en Géorgie. Abrams a même évoqué les lois Jim Crow pour qualifier cette nouvelle législation de Géorgie.

La référence est forte puisqu’elle renvoie aux législations mises en place à la fin du XIXe siècle pour s’assurer que les Blancs conservent le pouvoir dans le Sud profond, dont la Géorgie, après la fin de la guerre de Sécession.