Le 23 février 2020, durant la campagne électorale des primaires démocrates, Joe Biden connaît un rare moment de malaise médiatique. Dans la grande émission dominicale Face the Nation, la journaliste vedette de CBS News, Margaret Brennan, l’interroge sur l’Afghanistan. Insistant sur le sort des femmes afghanes si jamais les talibans devaient revenir au pouvoir, Margaret Brennan demande à Joe Biden s’il en porterait la responsabilité, lui qui se déclare partisan d’un retrait total des troupes états-uniennes engagées en Afghanistan. La réponse de Biden est cinglante : « Zéro responsabilité. » Ce questionnement alors purement rhétorique prend aujourd’hui un sens très différent, au lendemain d’un dimanche 15 août aux images déjà dévastatrices pour la présidence Biden.
Car les talibans ont repris Kaboul sans coup férir, en l’espace d’une journée, et exercent de nouveau, comme lors de la période 1996-2001 antérieure à l’offensive militaire des États-Unis, la réalité du pouvoir politique et juridique en Afghanistan. Le régime d’Ashraf Ghani s’est effondré comme un château de cartes, le président élu fuyant vers le Tadjikistan voisin aux premiers sons de l’avancée talibane.
En pleine torpeur estivale, les opinions publiques occidentales ont ainsi vu ce dimanche sur leurs écrans la terreur de populations civiles afghanes cherchant à s’échapper à tout prix d’un pays condamné à retrouver un ordre public dominé par la charia fondamentaliste. Les talibans s’apprêtent en effet à proclamer de nouveau un émirat islamique d’Afghanistan. Comme dans les territoires déjà reconquis depuis 2019, les femmes y seront privées d’éducation et d’accès au travail salarié, mariées de force aux combattants et les minorités religieuses comme les chiites menacées de persécutions. Et l’on a pu voir aussi la précipitation et l’improvisation de l’évacuation de l’ambassade américaine à Kaboul, le ballet incessant des hélicoptères Chinook évoquant une autre image tristement célèbre de l’histoire des Etats-Unis, celle du départ des derniers officiels de Saïgon (future Hô Chi Minh-Ville) au Sud-Vietnam conquis par les communistes du Nord en avril 1975.

Malgré ce choc des images, la présidence Biden reste pourtant droite dans ses bottes. Samedi, à la veille de la chute de Kaboul, le président s’est d’abord fendu d’un communiqué réaffirmant sa volonté de faire quitter l’Afghanistan aux dernières troupes avant fin août.