Dans Le Triomphe de l’injustice (Seuil, 2020), ouvrage consacrée à l’histoire des paradis fiscaux, on peut lire sous la plume des économistes français Gabriel Zucman et Emmanuel Saez : « De la création de l’impôt sur les bénéfices des sociétés au début du XXe siècle à la fin des années 1970, les grandes entreprises ne se soustrayaient guère au fisc. » C’est vous dire à quel point l’histoire fiscale de Total est surprenante, même pour des spécialistes. Car, comme nous vous l’avons raconté précédemment (lire l’épisode 5, « Casablanca, 1951 : Total trouve son petit coin de paradis fiscal »), c’est dès 1951 que le groupe, alors appelé « Compagnie française des pétroles » (CFP), a cherché à contourner les règles françaises en la matière. Et, comme nous allons maintenant vous le détailler, toujours grâce à notre enquête fondée sur les archives du ministère des Finances (lire l’épisode 1, « Total : le plein de superprofits, le vide d’impôts »), c’est en 1957 qu’il s’est installé aux Bermudes afin de profiter de l’opacité et de l’absence d’impôt de cet archipel de l’Atlantique nord. Décision qui a suscité une réaction du fisc français ressemblant beaucoup au combat mené ces dernières années par l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) afin d’empêcher les multinationales de transférer leurs bénéfices dans les paradis fiscaux. Comme quoi, le passé de Total est, par ses enjeux, très actuel.
Pour comprendre pourquoi, intéressons-nous aux motivations de la CFP il y a 66 ans de cela.