Dans les années 1960, CFP Informations est la revue interne de la Compagnie française des pétroles, qui deviendra Total (et son magazine, Total Information). Elle publie habituellement les comptes rendus des assemblées générales d’actionnaires ou fait état des dernières découvertes techniques en matière de prospection. Mais, à l’été 1968, pour son numéro 35, elle se transforme en revue comptable. Six pages sont consacrées à une réforme fiscale : l’introduction dans le droit français du « bénéfice mondial consolidé » (BMC), qui permet dorénavant aux multinationales françaises de compenser les bénéfices et les pertes réalisés par toutes leurs filiales, y compris celles implantées à l’étranger, afin de calculer l’impôt sur les sociétés à payer dans l’Hexagone. Dans un article, Joseph-Camille Genton, le directeur financier de la CFP, qualifie la mesure de « révolutionnaire sur le plan national » et d’« innovation sans précédent dans le domaine international ». De tels superlatifs sont naturellement exagérés
Autre raison de se féliciter : l’opération est un hold-up parfait. Le cadeau fiscal a été accordé en l’absence de toute polémique. Les parlementaires n’ont même pas compris que la compagnie pétrolière, ainsi que son concurrent Elf (qu’elle rachètera en 2000), en étaient bénéficiaires. L’histoire de l’adoption du BMC, que nous allons vous raconter à partir d’archives publiques inédites, n’est donc pas un décalque de l’épisode de la « provision pour reconstitution des gisements », où c’est le coût pour les finances publiques qui n’avait pas été anticipé, pas le fait qu’il s’agissait d’un avantage fiscal (lire l’épisode 7, « 1953, l’État arrose Total pour chercher du pétrole »). Elle illustre l’influence grandissante de la major française dans les années 1960, capable de faire triompher ses intérêts grâce à ses relais dans la haute administration. Un pouvoir qui a perduré fort longtemps : bien que critiqué au moment de la commission Schvartz (lire l’épisode 2,