«Alerte RSF : Mathias Depardon est à bord d’un avion de Gaziantep à Istanbul, il devrait être de retour à Paris ce soir. » Ainsi le secrétaire général de Reporters sans frontières Christophe Deloire a-t-il annoncé vendredi après-midi sur Twitter la libération du journaliste français détenu depuis 31 jours dans un centre de rétention au sud-est de la Turquie, près de la frontière syrienne. Le président de la République française Emmanuel Macron a confirmé sa libération. Mathias Depardon doit être expulsé ce soir après un mois d’une détention « absurde », selon le mot de Christophe Deloire. Absurde comme l’est, ou du moins l’est devenu depuis le coup d’État raté du 15 juillet dernier, le pouvoir turc qui purge et emprisonne à tours de bras.
Le photographe Mathias Depardon a été arrêté le 8 mai dernier à Batman, dans le sud-est du pays, alors qu’il effectuait, pour le compte de la version américaine du magazine National Geographic, un reportage centré autour des fleuves Euphrate et Tigre. Mais ce n’était pas ce qui lui valait, semble-t-il, d’être retenu. Deux procédures visent Mathias Depardon. Dans la première, administrative, il lui est reproché d’exercer sans la carte de presse spécifique qu’octroie le gouvernement turc. Mathias Depardon, qui travaille et vit en Turquie depuis cinq ans, en avait demandé le renouvellement et n’avait pas eu de réponse. C’est ce qui l’aurait expédié dans ce centre de rétention de Gaziantep, celui-là même où notre journaliste Olivier Bertrand avait été retenu pendant trois jours en novembre 2016.
La deuxième procédure est judiciaire. Une enquête a été ouverte pour « propagande terroriste » après que les policiers, fouillant le compte Instagram de Mathias Depardon, y ont découvert des photos de combattantes kurdes où apparaissait également un drapeau du PKK… Ce qui a suffi à déclencher une enquête. Mais pas une détention judiciaire, le procureur turc ayant estimé qu’elle ne se justifiait pas. Mathias Depardon est cependant resté détenu, sous le coup de la procédure administrative. Un signal, un de plus après plusieurs arrestations de ce type, une menace adressée à la presse étrangère. « Les droits du journaliste français sont totalement violés, déclarait mercredi Christophe Deloire de RSF. Un arrêté d’expulsion a été prononcé. Il aurait dû être placé dans un avion de retour vers la France dans les 48 heures. Or, ce n’est toujours pas le cas. »
Jeudi matin, Christophe Deloire et la mère de Mathias Depardon, Danièle Van de Lanotte, se sont rendus à Gaziantep afin de lui rendre visite dans le centre où il était retenu. Selon RSF, une détention administrative ne peut excéder 31 jours… Par deux fois, le 25 mai de visu puis le 3 juin par téléphone, le président de la République Emmanuel Macron s’est entretenu au sujet de Mathias Depardon avec le président turc Recep Tayyip Erdogan, lui faisant part de sa « préoccupation » et réclamant son retour « le plus vite possible ». En vain, pour l’heure. Coordonné par Reporters sans frontières, son comité de soutien, auquel participent Les Jours, s’est réuni mercredi à Paris devant la mairie du IVe arrondissement pour déployer sur sa façade une photo à l’effigie du journaliste et demander sa libération. Une pétition a été lancée parallèlement. Le message de la Turquie à l’attention de la presse étrangère semble on ne peut plus clair : ne venez pas faire votre travail chez nous. Le message est encore plus limpide à l’attention des journalistes turcs : 150 à 160 d’entre eux sont aujourd’hui emprisonnés.