Cinq femmes face au pouvoir du syndicaliste d’Europe 1

Cela aurait pu n’être qu’un procès frustrant, une audience ratée, un dialogue impossible. Frustrant, le procès de Kamel A. le fut assurément, mais il ne fut pas que cela. Malgré toute l’énergie déployée par l’ancien responsable du service des jeux d’Europe 1 pour qu’il ne ressorte rien de cette audience, il s’est bien passé quelque chose dans la salle 6.01 du tribunal de grande instance de Paris. D’abord parce que sans rien lâcher, à force d’arrogance et de dénégations bornées, le prévenu a démontré qu’il correspondait bien, en de nombreux points, au portrait fait de lui par ses accusatrices. Ensuite parce que face à lui, cinq femmes (l’une des plaignantes, décédée, était représentée par sa fille) ont pu sortir du huis clos toxique dans lequel il les avaient enfermées, faire bloc, et tâcher de comprendre ensemble comment cela avait été possible.

La force de ce collectif a surpris les magistrats dès les premières minutes d’audience, entamée le 29 novembre dernier et terminée ce vendredi. En cet après-midi froide, sur les bancs inconfortables du tribunal des Batignolles, un bloc compact d’une trentaine de personnes retient son souffle. Une, deux puis trois affaires sont examinées avant de passer à celle qu’ils attendent tous. La dernière est une sombre histoire de serrurier escroc – la 32^e chambre correctionnelle est spécialisée dans les questions économiques et financières. Après avoir renvoyé ce dernier dossier, la présidente lève des yeux surpris vers les bancs du public, toujours aussi garnis : « Donc en fait, ça n’est pas pour le dossier “SOS Serrurerie” que vous êtes là ? »

En face, le bloc fait timidement signe que non. Il est venu pour suivre le procès de Kamel A., ancien délégué syndical de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC) accusé par cinq salariées et ex-salariées d’Europe 1 de harcèlement moral et de harcèlement sexuel. Il y a là quatre plaignantes ainsi que la fille de la cinquième, donc, décédée en octobre d’un cancer. À l’exception de deux d’entre elles, elles ne se connaissaient pas avant de déposer plainte contre Kamel A. Elles passeront le procès côte à côte, droites, fortes, attentives les unes aux autres. Derrière elles, leurs proches ainsi que d’anciennes collègues venues en soutien.

Kamel A. était arrivé quelques minutes plus tôt, un exemplaire du Canard enchaîné dépassant de son sac de cuir, tout de noir vêtu.