Voici venu le moment de vous présenter l’un des personnages principaux de cette biobsession : Jean-Claude L’Angoisse. Parmi les membres de la rédaction des Jours, nous sommes plusieurs à le voir débarquer au-dessus de notre épaule quand nous faisons nos courses. Jean-Claude, c’est le genre qui te susurre : « Non, mais tu vas vraiment croire ce logo ? Qu’est-ce qui te garantit que les champs biologiques ne sont pas tous cultivés par des enfants esclaves mal nourris ? » Quand il débarque, tu transpires, tu erres et te perds entre les choux Kale et les potimarrons biologiques. La petite voix te stresse de plus en plus : « Tu vas acheter ça alors que tu n’as même pas passé des heures à éplucher le cahier des charges de ces chips de légumes équitables ? »
Si ces scènes sentent le vécu pour vous, sachez que vous n’êtes pas seuls. Selon Ronan Le Velly, l’époque bénie à laquelle on se contentait de faire aveuglément confiance aux mentions et aux logos est désormais révolue. Ce sociologue spécialiste des systèmes alimentaires parle d’une fin du « fétichisme du label ». Par exemple, explique-t-il, le label bio est de moins en moins vu comme une assurance totale d’acheter un produit qui remplit tous les critères éthiques des consommateurs. Il détaille : « À moins d’acheter directement au producteur, la chasse aux informations pour juger et comprendre ce qu’on mange est infinie. Moi-même, quand je consomme, je manque d’informations. Un seul chariot peut contenir des produits issus de plusieurs centaines de filières. Je dois faire des concessions, par exemple sur certains produits bios, comme la viande, qui sont hors de prix. Cela confirme qu’on n’est jamais 100 % cohérents en matière d’achats. » Alors, que faire ? Revenir aux faits, et ne pas paniquer. Notre manuel de survie va vous y aider.
Souvenez-vous de la chanson Confessions nocturnes. Dès les premières secondes, la chanteuse Vitaa jérémiait : « Mel, je le sens, je le sais, je le suis, il se fout de moi. » Diam’s, alias « Mel », répondait, pleine de naïveté : « Ton mec est pur, il te trompe pas, j’en suis sûre. » La Mel de cette chanson, c’est un peu vous quand vous achetez une tisane détox : vous êtes pris·e pour un jambon sans gluten. Vous le savez et, pourtant, vous fermez les yeux. Dans cette chanson, Mel et Vitaa finissent par casser les vitres d’une BM à coups de cric sous la pluie. Nous déclinons toute responsabilité si vous en faites autant à la lecture des lignes qui suivent.
« Détox »
Répétons-le, le concept de « détox » est une arnaque. Il revient à dire aux consommateurs : « Purifiez-vous en achetant ce purifiant purificateur, bandes d’êtres impurs ! » Le tout sans préciser le plus souvent de quelles impuretés ou de quelles toxines on parle. Ni comment elles sont éliminées. Rassurez-vous, votre corps est fait pour éliminer les toxines. Et, à moins d’être atteint de certaines maladies, il le fait très bien tout seul. Le professeur de médecine Edzard Ernst disait en 2014 au Guardian : « Un corps sain a des reins, un foie, une peau, même des poumons qui se détoxifient alors même que nous parlons. Il n’existe aucun moyen connu – et certainement pas de “cure détox” – pour améliorer ces mécanismes qui fonctionnent parfaitement dans un corps sain. » En 2009, le médecin nutritionniste Jacques Fricker formulait le même constat dans Le Monde : « “Détox” est avant tout une invention des médias ou des parapharmaciens, ce mot n’a jamais existé en médecine. Certes, c’est plus glamour et plus mode que “régime”. »
« Tradition », « … de grand-mère », « Tout simplement », « Rustique »…
Attention à ces mots qui n’engagent à rien. L’association de consommateurs Foodwatch s’est fait une spécialité de vérifier ce genre de mentions dans la rubrique « Arnaque sur l’étiquette » de son site. Exemple en juin dernier avec des pâtes feuilletées. « “Herta vous confie son Trésor de grand-mère”, peut-on sur le site internet de la marque. Pourtant, la pâte feuilletée “Trésor de Grand-Mère” contient de l’huile de palme », dénonce alors Foodwatch. Idem pour la « Feuilletée tout simplement », de Marie. En novembre, l’association pointait aussi des additifs inquiétants utilisés par Bonduelle dans des poêlées de légumes soi-disant « rustiques ».
« Made in France », « Hexagone », « Bleu blanc rouge », « Sélection de nos régions »…
Foodwatch surveille également les arnaques patriotiques. Cela va des cornichons bleu-blanc-rouge venus d’Inde à la tarte aux framboises certes « cuisinée en France » mais avec des fruits venant de très loin ou encore aux boudoirs bios « produits en France » à partir d’ingrédients pas forcément hexagonaux. L’été dernier, le magazine 60 millions de consommateurs a épinglé de son côté les marques « U Saveurs » (Système U), « Ça vient d’ici » (Casino), « Sélection de nos régions » (Leader Price) et « Mmm ! » (Auchan), pour des produits régionaux à l’origine parfois très floue.
Sans être des arnaques, les mentions et les logos qui suivent sont tout de même volontairement peu exigeants.
« Zéro résidu de pesticides »
Ce label est né il y a quelques semaines à peine, mais quinze associations environnementales ont déjà publié une tribune contre lui. D’abord parce qu’il est moins contraignant que le label bio européen (lire ci-dessous), puisque, par exemple, il autorise la culture hors-sol. Ensuite, parce que cette étiquette vous assure non pas qu’aucun pesticide de synthèse n’est utilisé pendant la culture d’un légume, mais plutôt qu’aucune trace n’est décelable quand on vous le vend. Insuffisant pour les associations : « Si les pesticides sont dangereux dans notre assiette, ils le sont aussi dans notre environnement. Ce n’est pas parce que des produits alimentaires ne présentent plus de trace de pesticides quand ils arrivent sur les étals qu’ils n’en n’ont pas été aspergés quand ils étaient aux champs. Ils se retrouvent ainsi dans l’air, dans l’eau et mettent en danger la santé des agriculteurs, la santé des riverains et tout simplement, l’ensemble des écosystèmes. »
« Cultivées sans pesticides »
Ce label a été inventé par la coopérative bretonne Savéol, spécialisée dans les tomates sous serre. Il vous assure que le fruit est « cultivé sans pesticides de la floraison à la récolte » et qu’il présentera « zéro résidu de pesticides » dans votre assiette. Mais, là encore, ce label est moins contraignant que la certification européenne. Il ne « s’interdit pas » certaines pratiques pas bios du tout. Par exemple ? La possibilité de décider en pleine production… de finalement opter pour des traitements chimiques et de vendre alors les tomates dans une filière conventionnelle. Rien à voir avec les longues années nécessaires à une conversion en bio.
AOC et Label rouge
Comme nous vous l’indiquions dans notre série Steak assez, les labels de la bidoche sont souvent assez peu contraignants. Les poulets qui portent le macaron « AOC » – Appellation d’origine contrôlée – vivent ainsi cinquante-six jours, contre quarante en moyenne en élevage standard. C’est tout ? Oui. Tout le reste est semblable à l’élevage intensif : ils vivent dans le noir, sans accès à l’extérieur. Le Label rouge implique, lui, que les animaux vivent quatre-vingt-un jours au moins, dans des poulaillers de moins de 400 mètres carrés, avec une lumière naturelle et une densité de 11 poulets par mètre carré maximum, soit deux fois moins que dans l’élevage intensif.
Agriculture raisonnée
Ce mot qualifie les fermes respectant un cahier des charges mis en place par l’agro-industrie. On le trouve parfois sur les produits de consommation. Son niveau d’exigence est faible. Ses opposants rappellent ainsi qu’une bonne partie des pratiques exigées par la qualification « raisonnée » sont en fait déjà obligatoires pour tous les agriculteurs.
Ce sont un peu nos labels, logos et marques sûrs. On ne vous dira pas de vous jeter dans leurs bras sans réfléchir, bien sûr. Mais sachez qu’avec eux il est rare d’avoir de mauvaises surprises. Encore faut-il savoir ce que chacun signifie.
Le Logo « AB »
C’est le logo bio le plus connu du pays. Pourtant, il est juste là pour faire joli. On vous explique. Depuis 1985, la certification « Agriculture biologique » validait le recours à « une agriculture n’utilisant pas de produits chimiques ni pesticides de synthèse ». Elle autorisait seulement certains pesticides d’origine naturelle. Harmonisation européenne oblige, en 2009, un même logo (la feuille) et des règles identiques (un peu plus souples que les françaises) ont été adoptées dans l’ensemble de l’Union. Mais les professionnels français ont tenu à conserver le label « AB », tout simplement parce qu’il est bien connu des consommateurs.
La feuille européenne
C’est la base. Cette certification en forme de feuille est un préalable indispensable pour pouvoir arborer d’autres logos, comme Bio Cohérence ou Nature & Progrès. C’est elle qui a remplacé, dans une version légèrement édulcorée, le logo « AB ». Elle vous garantit que 95 % ou plus des composants du produit sont issus de l’agriculture biologique.
Elle fait toutefois régulièrement l’objet de nombreuses pressions. En 2017, après plusieurs années de négociations, un nouveau règlement européen a été adopté concernant ce label. Il devrait s’appliquer en 2020. Il ajoute quelques assouplissements sur les contrôles et permet certaines dérogations aux États membres. Mais on a évité des rabais important, comme l’idée que les productions contaminées par des pesticides ne soient plus forcément déclassées. Il apporte aussi quelques améliorations, notamment plus de contrôles sur le bio importé et plus de liberté d’échange et de multiplication de semences pour les petits paysans – l’eurodéputé écolo José Bové s’est félicite de ces avancées.
Fairtrade Max Havelaar
Il a été créé à la fin des années 1980 par l’association Max Havelaar. Il assure une juste rémunération et des conditions de travail décentes pour les producteurs des pays les moins développés. Il permet également la mise en place de projets sociaux dans les zones de production et donne des garanties environnementales, notamment l’interdiction des OGM, l’utilisation limitée de pesticides et l’encouragement à l’agriculture biologique ou encore la préservation des ressources naturelles. Ce label a été l’objet de critiques très virulentes. Il a notamment été accusé de trop frayer avec la grande distribution et de dépolitiser la question du commerce Nord/Sud.
Bio Cohérence
C’est en réaction au nouveau label bio européen que Bio Cohérence est né en 2010. Son cahier des charges correspond grosso modo à la version d’origine du label « AB ». Petit bonus par rapport à la feuille verte, on ne trouve donc dans ses produits transformés aucune trace d’OGM (contre 0,9 % autorisés avec le label « AB ») ni d’aliments non bios (contre 5 % autorisés avec le label « AB »). Bio Cohérence interdit également la coexistence bio/non bio dans une même ferme.
Nature & Progrès
C’est au départ une association, qui réunit depuis 1964 des consommateurs, des agriculteurs producteurs et des artisans transformateurs. Il va un peu plus loin encore que le label Bio Cohérence en assurant, par exemple, 100 % d’alimentation bio pour les animaux d’élevage ou refusant d’agréer les fermes installées à proximité d’exploitations agricoles polluantes ou de grandes infrastructures routières.
Bio Partenaire
Il est né de la fusion des labels Bio Solidaire et Bio Équitable. Il est un peu plus exigeant que le label européen, notamment en interdisant la culture en serres chauffées hors saison. Surtout, il ajoute des conditions sociales pour assurer une rémunération juste des producteurs et garantir une politique de responsabilité sociétale et environnementale de la part des entreprises.
Demeter
Ce label certifie que votre produit respecte les règles de la biodynamie, une agriculture qui consiste à envisager la ferme comme un organisme vivant. À des pratiques agricoles favorables à la biodiversité s’ajoutent d’autres méthodes souvent ésotériques, comme le respect très strict des rythmes lunaires ou l’utilisation à doses homéopathiques de préparations à bases de plantes, de minéraux ou de fumiers fermentés dans des vessies, des cornes ou des crânes d’animaux.
C’est qui le patron ?!
C’est le dernier-né de cette famille. Depuis deux ans, la « marque du consommateur » vous propose d’établir vous-même, en votant sur son site, le cahier des charges et le « juste prix » des produits qu’elle vend. Ça a donné, par exemple, un lait issu de vaches mises au pâturage trois à six mois dans l’année et nourries au fourrage local et sans OGM. Le prix de vente est de 0,99 euro le litre, ce qui garantit une rémunération correcte au producteur. Désormais, on trouve également du miel, du chocolat, du beurre, des fraises et bientôt du vin portant le logo « C’est qui le patron ?! ».
Ne l’oublions pas, obtenir un label ou une certification coûte souvent assez cher aux producteurs. Certains décident donc de s’en passer, notamment dans certaines filières comme le vin. Dans son livre Le bio au risque de se perdre (Buchet-Chastel, 2018), Frédéric Denhez consacre de nombreuses pages à présenter des agriculteurs qui ont tout de bio sauf quelques détails, dont le label. Charge aux consommateurs de découvrir et d’apprécier leur démarche en les rencontrant ou en visitant leurs exploitations. Oui, désolé, ça implique parfois d’aller goûter du pinard ou de se balader dans les vergers.