Suicides à la SNCF : « C’est un homme à bout qui vous écrit »

«Madame, aujourd’hui, c’est un homme à bout qui vous écrit. » C’est par ces mots qu’un commercial, entré à la SNCF il y a vingt ans, entamait fin 2019 un e-mail à sa responsable. S’ensuivent une dizaine de paragraphes et autant de blessures à vif. Chacun expose avec douleur les sources de son mal-être. Le cheminot s’y présente en « bon élément », « investi et dévoué », « toujours disponible » pour l’entreprise, et souffre que « cela ne marche que dans un sens ». Il y a d’abord eu ces congés annulés par ses supérieurs pour cause de sous-effectif. Puis, leurs vetos systématiques face à sa volonté de monter en grade et de s’impliquer dans des missions au-delà de son poste. Ou ces remarques lui reprochant de s’investir sur un réseau social interne, alors qu’il dit y trouver « une reconnaissance, une bienveillance, un soutien moral » que n’offrirait plus sa direction. Des « mauvaises pensées » le traversent, indifférentes aux antidépresseurs. Ce message, qu’ont pu lire Les Jours, n’a jamais quitté les brouillons de sa boîte mail. L’agent s’est pendu chez lui le 29 décembre 2019, à 41 ans.

2018 a marqué le début d’une vague de fermetures de guichets et de suppressions de postes. Ses collègues et lui s’appelaient sans cesse, se demandant ce que deviendrait untel ou untel. L’avenir le minait.

Sa veuve – appelons-la Hélène – l’a vu s’effondrer, impuissante. Son mari travaillait dans une équipe de réserve en Occitanie. Des agents volants dépêchés à l’accueil des gares selon les trous de plannings. « 2018 a marqué le début d’une vague de fermetures de guichets et de suppressions de postes, se souvient-elle. Ses collègues et lui s’appelaient sans cesse, se demandant ce que deviendrait untel ou untel. L’avenir le minait. Il m’a dit : “Peut-être que la SNCF, c’est fini.” » L’époux d’Hélène « ne se pensait pas forcément sur la sellette », mais « plein de choses lui ont été refusées, dont un passage à 80 %, à cause du manque d’effectifs ». La fatigue des déplacements et le manque de considération imputé à sa hiérarchie ont alourdi ses frustrations. « Tout donner, sans un merci, lui a fait perdre confiance en lui », estime Hélène. Arrêté pour dépression, épuisé psychiquement, le cheminot avait repris le travail avant d’être hospitalisé en psychiatrie. À sa mort, ses collègues ont lancé une cagnotte pour Hélène et ses enfants. « La famille cheminote lui tenait tant à cœur », peut-on lire dans l’appel aux dons.

À la SNCF comme chez France Télécom il y a dix ans, à La Poste ou chez Pôle emploi, la souffrance au travail est parfois telle qu’elle tue. Ces dernières années, les échos des suicides de cheminots composent un bruit de fond funeste. Fin août,