Magali a passé une partie de l’automne à trier en deux piles de vieux plans de la SNCF, vestiges du rail à l’ère pré-informatique. « Une partie a déjà été numérisée, explique cette cheminote installée en Auvergne-Rhône-Alpes. S’ils sont dans l’ordinateur, je les jette. Sinon, je les mets de côté. » Une besogne « répétitive », « pas valorisante », pour cette agente pourtant formée à la « filière 27 », celle des métiers décisifs de la sécurité : l’aiguillage, l’assemblage des trains ou encore les autorisations de départ, une fonction récemment sacrifiée (lire l’épisode 2, « La SNCF laisse ses agents d’escale à quai »). Au moment de notre interview, Magali prend sa pause devant un bureau de la maintenance où la SNCF lui a accordé un espace. « Vous serez la seule personne à qui je vais parler de la journée, nous glisse-t-elle. Mes collègues ne m’adressent pas la parole. Certains pensent que je suis envoyée par un prestataire. Ils ne disent même pas bonjour. »
À 500 kilomètres de là, en région parisienne, Nina, entrée à la SNCF il y a onze ans comme agente commerciale, « vérifie des cartes Vitale et des cartes d’identité à longueur de journée » dans un service administratif. « Ça n’a rien de formateur, soupire-t-elle. Ça fait trois mois que je pars travailler la boule au ventre. » Voilà deux ans que cette trentenaire change « de lieu, de métier, de collègues, tous les trois à cinq mois ». En Occitanie, c’est Anne-Sophie, embauchée elle aussi à la filière 27 il y a près de vingt ans, qui endure depuis 2017 un chapelet de missions sans lendemain. « On m’a envoyée à droite, à gauche. À chaque fois, j’ai fait le taf. Le jour où l’on m’a proposé de partir tout l’été à 400 kilomètres de chez moi, j’ai pété un câble. C’était encore une mission, pas un poste stable. » Depuis, cette mère de trois jeunes enfants est en arrêt pour dépression.
Les trois cheminotes ont en commun d’avoir été orientées par la SNCF vers les « espaces initiatives mobilité », les EIM. Ces structures internes à la compagnie, réparties en 24 antennes, se situent à mi-chemin entre Pôle emploi et une agence d’intérim : elles sont chargées de trouver des missions, à défaut de postes stables, aux cheminots qui en sont privés. Près de 80 % de l’activité des EIM seraient liés à des mobilités contraintes, selon la CFDT Cheminots. En 2018, la moitié des agents reçus auraient perdu leur poste au cours d’une des multiples réorganisations (lire