Dilemme cornélien. Entrer dans le tribunal judiciaire de Guéret, bâtiment gris et quasi invisible sur la place Bonnyaud, entre La Poste et une banque. Ou faire un tour de manège, rien qu’un seul. Après deux ans de restrictions sanitaires, la fête foraine de la Trinité s’est réinstallée en cette mi-juin dans le centre-ville de la préfecture de la Creuse. À 14 heures, sur la place, il n’y a pas un chat pour venir mettre sa tête à l’envers. Les forains attendent patiemment. À plein volume, histoire de mettre l’ambiance plusieurs heures à l’avance, la sono balance : « This is the rhythm of the night, the night, oh yeah. » Tant pis pour la toute nouvelle attraction Star Wars garantie sensations fortes, nous entrons dans l’enceinte judiciaire creusoise, où le rythme est plus tranquille. Le but ? Observer le visage de la justice du quotidien, les comparutions immédiates (lire l’épisode 1, « Sur les bancs de la justice du quotidien »), dans le département le plus âgé de France.
Évidemment, personne n’est croulant à l’intérieur. Ni les prévenus, ni les magistrats, ni les avocats. L’escorte – les gendarmes qui accompagnent les prévenus qui comparaissent détenus – paraît même tout juste adulte. Si le visage de la justice creusoise n’a pas une ride, c’est peut-être parce qu’il a le sang neuf. Tout frais. Le nouveau président du tribunal, Michaël Humbert, a pris ses fonctions en septembre 2021, au moment où l’institution recouvrait enfin tous les effectifs dont elle avait besoin pour fonctionner dans cette juridiction de 116 000 habitants. Le 17 mai dernier, c’était au tour d’Alexandra Pethieu de s’installer à Guéret, en tant que procureure de la République. Sûrement se sont-ils imprégnés rapidement de l’atmosphère très particulière qui règne ici.
Sur la place Bonnyaud à Guéret, la fête foraine attend les clients ; les comparutions immédiates n’ont que deux dossiers à étudier ce jour-là
— Illustration Aurélie Garnier pour Les Jours.
Les habitués des prétoires le savent, les tribunaux ont souvent une atmosphère étrange. Il y fait souvent trop froid, on y est mal assis. La lumière est rarement naturelle, régulièrement blafarde. À Guéret, rien de tout ça. La salle Pierre-Bouchardon – du nom d’un magistrat né à Guéret officiant pendant la Première Guerre mondiale – est d’une clarté absolue. Le bois est doux et, surtout, la pièce est bardée de plusieurs véritables fenêtres. Mieux encore, ce sont des vitraux. Du verre jaune, rouge, violet. Le tribunal de Guéret ne pouvait pas simplement laisser entrer la lumière du jour. Pour éclairer ses décisions de justice, il fallait qu’il aille au-delà, dans le divin peut-être.