C’est la cinquième vague du Covid et c’est notre huitième interview avec le docteur Yannick Gottwalles. Mais notre dernier échange avec le chef du pôle des urgences de Colmar, dans le Haut-Rhin, véritable thermomètre épidémiologique des Jours, commence à remonter, c’était en octobre 2020, et pour cause : entre-temps, il a été victime d’un « problème cardiaque » et a dû subir une intervention à cœur ouvert. « La conjoncture et le stress dû au Covid », selon les médecins qui l’ont soigné. À son retour, il y a un mois, Yannick Gottwalles raconte avoir « constaté une dégradation monstrueuse de l’hôpital ».
Nous en sommes aujourd’hui à la cinquième vague du Covid-19 avec un nombre de contaminations qui connaît une hausse similaire à celle de l’automne 2020, accompagnée d’une hausse des hospitalisations. Comment la vivez-vous à l’hôpital de Colmar ?
On est dans une situation excessivement différente de la première vague. La première, ç’a été une inondation du système de santé par le nombre de malades, mais surtout par l’absence de moyens de protection. Entre-temps, heureusement, il y a eu un certain nombre de progrès techniques et scientifiques qui ont permis de développer des vaccins efficaces, on commence à avoir des traitements et on a adapté les prises en charge avec des procédures qui permettent de limiter les complications médicales. À côté de ça, vous avez l’effet vaccinal qui se fait bien ressentir puisqu’il n’y a quasiment que des non-vaccinés qui ont des formes graves nécessitant de la réanimation. À partir du moment où la proportion des personnes vaccinées est très importante dans la population dite « à risque », ça change sacrément la donne. Malgré le taux d’incidence identique, voire supérieur, à la première vague, on n’a absolument pas les mêmes répercussions sur les hôpitaux. Mais la situation s’est quand même excessivement dégradée. Aujourd’hui, on manque de combattants parce qu’il n’y a pas un hôpital en France où il n’y ait pas de fermetures de lits liées à un manque de ressources humaines. Au niveau médical, paramédical, infirmiers, aide-soignants, toutes les catégories professionnelles sont impactées.
Que pensez-vous des annonces gouvernementales de ce lundi, destinées à freiner la cinquième vague ? Sont-elles adaptées ? Suffisantes ?
Ah bon, il y a eu des annonces ? Hahaha, j’ai dû les rater, alors ! Parce qu’à part les discothèques il n’y a rien eu ! Blague à part, pour savoir si ces annonces sont suffisantes, il faut se poser la question de l’objectif recherché. Si on veut faire baisser la propagation du virus, eh bien, il faut que les gens ne se parlent plus, n’aient plus d’activités sociales importantes et arrivent à avoir une distanciation. Les annonces de ce lundi entrent dans ce cadre-là : on va essayer de ralentir la propagation du virus. Mais le coup de gueule des propriétaires de discothèques est justifié, parce que, quand vous voyez ce qui se passe sur les marchés de Noël, les foules agglutinées, c’est quand même une grande foutaise. Mais l’important, c’est de sauver Noël !
Plus on laisse de temps au virus pour continuer à survivre, plus on s’expose à des variants. Et le virus n’a qu’un seul objectif : survivre.
Qu’est-ce qu’il aurait fallu comme mesures ?
Si on veut casser la propagation, il faut que les gens ne bougent plus. Plus d’activités sociales, le télétravail pour tous, la vaccination obligatoire pour tous, l’absence de mouvement dans les écoles : c’est un quasi-confinement général. Est-ce qu’on en a besoin, étant donné toutes les différences dont je vous parlais entre la première et la cinquième vague, je n’en suis pas certain. Mais le message actuel n’est pas suffisamment alarmiste pour que les gens prennent conscience de ce qui est en train de se passer. Ce qui est certain, c’est que ce n’est pas fini. Et ce message-là n’est malheureusement pas assez martelé. Une pandémie, quoi qu’il arrive, c’est minimum deux ans pour en sortir. Mais à condition de trouver un vaccin efficace, un traitement efficace. Et même si le vaccin est efficace, la couverture vaccinale n’est pas suffisante au niveau mondial, parce que la France n’est pas seule sur terre. Donc on n’en a pas encore fini, on en a encore pour deux ans pour arriver à s’en sortir, pour trouver des solutions qui soient pérennes. Ces solutions, je ne présage pas ce qu’elles vont être. Ce sera peut-être une vaccination tous les quatre mois pour les soignants et les personnes indispensables, ce sera peut-être une vaccination à vie pour une certaine frange de la population, ce sera peut-être un traitement à prendre pendant un certain temps. Mais ce qui est certain, c’est que plus on laisse de temps au virus pour continuer à survivre plus on s’expose à des variants. Et le virus n’a qu’un seul objectif : survivre.
Le télétravail généralisé, la vaccination obligatoire, voire un confinement généralisé, c’est un peu compliqué à faire passer, non ?
Ah, mais tout est compliqué à faire passer dans cette période préélectorale ! Ma position sur la vaccination obligatoire est la suivante. Quand le vaccin a été disponible, il fallait prendre la décision de dire : « Les métiers prioritaires, indispensables, dont les soignants, pompiers, éboueurs, caissières, c’est vaccination obligatoire. » Mais c’est seulement en septembre-octobre que la question s’est posée ; or, à ce moment-là, la bonne question aurait dû être : la vaccination doit-elle être obligatoire pour toute la population ? On n’en serait pas aujourd’hui avec les antivax d’un côté, les provax de l’autre, on aurait évité toutes ces discussions stériles qui font qu’aujourd’hui le clan des antivax est totalement imperméable à tout argumentaire. Résultat, on est toujours en train de courir après le virus, qui a pris de l’avance. Maintenant on court après Omicron. On espère juste qu’il ne va pas y en avoir un, un jour, qui va être plus virulent que les autres, parce que là, ce sera la catastrophe.
Actuellement, les patients en réanimation sont à 95 % des personnes non vaccinées. On a cette dichotomie qui est extrêmement franche et qui n’est pas discutable.
Est-ce que les patients Covid que vous admettez en réanimation sont des vaccinés ou non-vaccinés ?
Il y a trois genres de patients. Ça peut paraître caricatural, mais c’est vraiment ce qui se passe sur le terrain. Premièrement, on a un flux de patients qui ont le Covid avec une forme relativement bénigne, qui nécessitent une simple surveillance, un tout petit peu d’oxygène, quelques traitements adjuvants et qui, après quelques heures, rentrent à la maison et sont confiés à leur médecin traitant. Ce sont essentiellement des patients âgés, avec des comorbidités. Deuxièmement, on a une toute petite proportion, mais vraiment infime, de personnes vaccinées il y a très longtemps, qui sont dans un creux immunitaire et qui font une forme de Covid qui peut mal évoluer et nécessiter une admission en soins intensifs, avec neuf chances sur dix d’en ressortir très rapidement, sans passer par la case réanimation. Enfin, on a un flux de patients qui viennent avec des formes beaucoup plus sévères où il faut mettre en place des gestes de réanimation : ce sont des personnes non vaccinées. Actuellement, les patients en réanimation sont à 95 % des personnes non vaccinées. On a cette dichotomie qui est extrêmement franche et qui n’est pas discutable.
Que vous disent-ils, ces non-vaccinés, quand ils arrivent en réanimation avec une forme grave de Covid ?
En général, quand ils arrivent en réanimation, ils ne peuvent plus parler, donc ils ne disent pas grand-chose ! Sinon, c’est variable : il y a ceux qui se rendent compte et qui regrettent, et il y a ceux qui n’ont toujours rien compris, et ça, ça commence à être fâcheux. Il y a une colère qui monte dans les équipes de réanimation qui ont des patients lourds à prendre en charge, parce que ce sont des patients qui ne devraient pas être là. S’ils avaient été vaccinés, ils ne seraient pas là. Et s’ils n’étaient pas là, les équipes soignantes pourraient prendre en charge des patients qui en ont besoin pour leur état de santé actuel. On n’a toujours pas rattrapé le retard pris dans les déprogrammations de première vague. Sauf en cancérologie où il y a un pronostic vital engagé, il y a encore des personnes qui ont des interventions reportées alors qu’elles auraient dû être opérées il y a dix-huit mois. On ne peut pas les opérer parce qu’on n’est pas sûrs qu’elles puissent avoir une place en réanimation. Et je comprends la colère d’une infirmière de réanimation qui a en charge deux ou trois patients Covid jeunes non vaccinés alors que, normalement, elle devrait s’occuper de patients qui ont eu une intervention chirurgicale lourde. À Mulhouse, il y a une famille qui a été décimée
Vous avez eu des cas de personnels soignants qui refusent de se faire vacciner et ont été suspendus ?
Aux urgences, on a eu du personnel administratif, des agent d’accueil qui ont refusé et qui sont pour l’instant suspendus. Je sais qu’à l’hôpital il y a des personnels paramédicaux, infirmiers et surtout aide-soignants suspendus. Sur 3 670 soignants à l’hôpital de Colmar, il y en a une quarantaine, c’est vraiment à la marge. Mais c’est parce qu’on a été très impactés par la première vague, et que les explications ont été données.
Cette vague survient sur un hôpital très malade. Ç’a été voulu par les hommes politiques qui, ces trente dernières années, ont mis en place des réductions drastiques de lits et de moyens.
Les hôpitaux de Colmar ont été parmi les premiers à activer le plan blanc. Ce dispositif devrait s’étendre au niveau national d’après le ministre de la Santé Olivier Véran. Que cela signifie-t-il concrètement pour vous ?
Ce n’est pas un plan blanc pour afflux massif de patients, c’est un plan blanc pour inadéquation entre les capacités d’accueil, liées au manque de ressources humaines, et une proportion de patients un peu plus importante. Cette cinquième vague survient sur un hôpital qui est très malade, sur un système de soins français qui est à l’agonie. Et ça, ç’a été voulu par les hommes politiques qui, ces trente dernières années, ont mis en place des réductions drastiques de lits et de moyens. Et maintenant, avec le Covid, avec la déception du Ségur, un certain nombre de personnes ont quitté l’hôpital public, sont allées dans des filières plus calmes, moins demandeuses de soins, avec des salaires et des primes plus intéressants. Résultat, l’hôpital public se retrouve en manque de ressources majeur. Heureusement que cette cinquième vague n’a pas les proportions de la première parce que ça ferait imploser tout le système.
Est-ce que vous, vous avez vu une grande vague de départs à Colmar ?
À mon retour après mon accident cardiaque, il y a moins d’un mois, j’ai constaté une dégradation monstrueuse de l’hôpital. Une grande partie de mon équipe a changé, un certain nombre des jeunes praticiens que j’avais engagés sont partis dans le privé, dans des endroits où ils n’ont pas de gardes le week-end, où la charge de travail n’est pas du tout la même. Alors qu’au moment où je les avais engagés ils disaient qu’ils voulaient être urgentistes, qu’ils avaient ça dans la peau. Et ça, ça fait suite aux désillusions, au Ségur qui a été le rendez-vous raté de la décennie. À Colmar, nous sommes dans une région frontalière, beaucoup de soignants sont partis vers la Suisse, où les conditions de travail sont différentes, où le salaire est multiplié par trois voire par quatre à échelon égal. On ne peut pas lutter contre ça. On aurait peut-être pu lutter si le Ségur avait été cohérent, mais avec ses mesurettes, ça ne suffit pas. Qu’on ne se méprenne pas : 10 milliards sur la table, c’est une somme colossale, mais on part avec un tel retard que c’est une goutte d’eau, il faudrait 10 milliards par an pendant quinze ans pour essayer de le rattraper un tout petit peu. Malheureusement, le constat, après les applaudissements, après l’engouement pour tous ces soignants qui exerçaient leur métier avec empathie et conviction, c’est que ces mêmes soignants sont partis faire autre chose, trop déçus qu’il n’y ait pas de suites.
La question des hôpitaux et plus globalement de la santé est loin d’être au cœur de la campagne présidentielle. Est-ce un regret pour vous ?
Bien sûr que c’est un regret ! Mais il fallait s’y attendre, ce n’est plus porteur. Un anesthésiste, c’est dix à douze ans de formation avant qu’il soit autonome ; un réanimateur, pareil ; une infirmière, c’est minimum quatre ans ; une infirmière spécialisée, c’est six ans. Comment voulez-vous proposer des mesures qui auront un effet dans si longtemps, ce n’est pas porteur sur le plan électoral ! On a été applaudis pendant des mois et quand il y a une échéance électorale, on disparaît des objectifs.
Omicron, c’est un variant qu’il faut surveiller de très près parce que c’est peut-être le combattant qu’on craint, qui va avoir des prédispositions à résister aux vaccins et aux traitements récents.
Le variant Omicron, vous l’avez déjà croisé ?
Oui. Au moment où Omicron a été annoncé, dire qu’il n’était pas sur le territoire français, c’était déjà une erreur parce qu’on savait très bien que s’il avait été trouvé en Afrique du Sud, avec les avions et tous les déplacements modernes, on allait forcément très vite le trouver en France. La preuve, quelques heures après, il était en région parisienne, et encore quelques heures après, en Alsace. Mais les cas qu’on a eus à proximité de Colmar surviennent chez des personnes qui sont vaccinées et qui font des formes totalement bénignes : elles peuvent être soignées à la maison. Il ne faut toutefois pas en faire une généralité, je ne sais pas si ça va être la même chose pour l’ensemble de la population. C’est un variant qu’il faut surveiller de très près parce que c’est peut-être le combattant qu’on craint, qui va avoir des prédispositions à résister aux vaccins et aux traitements qui viennent de sortir. Mais plus on va attendre, plus on risque de trouver un variant qui va résister à ce qu’on a mis en place. Là encore, la temporalité est majeure : quand on attend quelques jours, quelques semaines, on perd des mois face au virus…
On perd des mois, et puis le virus mute, et puis ça recommence…
Voilà. Face à un virus, il faut être très énergique. La vie d’un virus, c’est ça : il arrive, il est fait pour survivre quoi qu’il advienne. Soit un autre virus le détruit et on n’en entend plus parler. Soit il arrive à trouver sa place avec ses hôtes, les humains, faire le tour du monde plusieurs fois, les humains vont courir après pour essayer de trouver des vaccins, des médicaments, s’ils ne les trouvent pas, le virus va ressortir vainqueur. Troisième possibilité, le virus fait le tour du monde mais les humains arrivent à trouver des vaccins, arrivent à trouver des traitements suffisamment tôt pour éviter que le virus ne mute, et dans ce cas-là, il peut s’amenuiser, voire mourir. Mais il faut une volonté mondiale et des moyens mondiaux. Et c’est pour ça que le virus a toujours de l’avance pour l’instant. C’est ce même phénomène inexplicable qu’on rencontre dans la vie courante quand, dès 8 heures du matin, vous prenez cinq minutes de retard, ça ne paraît pas grave, mais à la fin de la journée vous vous retrouvez avec une heure, une heure trente de retard. Pourquoi ces foutues cinq minutes m’entraînent vers une heure trente de retard ? Pour le virus, c’est pareil : le temps perdu ne se rattrape pas.