Stratégie de la dernière chance pour des artistes en manque de visibilité au départ, la manipulation des streams est devenue un système qui touche jusqu’aux hauteurs du classement (lire l’épisode 1, « Fraude avec les stars »). Le phénomène prend sans cesse de l’ampleur depuis plusieurs années, jusqu’à représenter aujourd’hui une forme de normalité encombrante. Tellement que certains voudraient y mettre fin dans le monde du rap, le plus touché parce que c’est là que se trouve l’argent des écoutes en streaming en 2022. « Je pense que ça dessert l’urbain, se désole ainsi Mehdi Guebli, alias Merkus, qui est notamment le manager de Vald. On parle beaucoup trop de chiffres dans notre secteur. Le public veut toujours plus de records », ce qui pousse à tricher en achetant des streams pour se rendre plus beau ou réduire le risque à la sortie d’un nouveau titre. Ne pas acheter de streams serait ainsi devenu intenable dans ce nouveau monde de la musique, et Mehdi Guebli, qui dit s’y refuser, y voit une rupture d’égalité problématique : « Ça m’emmerde de partir au front avec un couteau alors que les mecs en face ont un bazooka. »
Comme personne ne sait s’il y a 10 %, 20 % ou encore plus de fake streams, personne n’a envie d’être le dindon de la farce en n’y touchant pas. Du coup, tout le monde est acteur et victime face à la pression.
Dans son bureau encombré de disques d’or du rap et de la pop en français, un acteur expérimenté du secteur raconte lui aussi une impasse dans laquelle tout le monde ou presque s’est jeté. « C’est devenu un peu un système, mais les gens ne sont pas heureux. Ça fout la merde et il y a beaucoup de fantasmes. Comme personne ne sait s’il y a 10 %, 20 % ou encore plus de fake streams, personne n’a envie d’être le dindon de la farce en n’y touchant pas. Du coup, tout le monde est acteur et victime face à la pression. » Dans la foulée, notre interlocuteur alerte toutefois sur la nécessité de sortir intelligemment et prudemment de ce piège : « Si on assiste à un effondrement du marché du rap, ça mettra tout le monde dans la merde. Les majors ont donné trop d’argent pour signer des artistes et si elles ne récupèrent pas leur mise, c’est la cata. » C’est dire à quel point le secteur est aujourd’hui gangrené par ce volume de streams artificiels qui brouille tout.

Le sujet agite beaucoup les couloirs en ce moment au sein des majors, Universal, Sony et Warner, qui concentrent une grande majorité des succès du rap.