Elle ne compte plus les kilomètres depuis qu’elle a endossé le gilet jaune. Élodie, 34 ans, en parcourt habituellement quarante, aller-retour, pour se rendre au travail chaque jour. S’y sont ajoutés vingt autres pour rejoindre, à la pause-déjeuner et certains soirs, le rond-point de Voreppe. Occupé depuis plus de trois semaines par les gilets jaunes, squatté par Les Jours depuis le 3 décembre, c’est devenu l’un des carrefours de la mobilisation dans la campagne iséroise. La première fois qu’on a rencontré Élodie, elle nous a dit sa « colère présente depuis très longtemps » (lire l’épisode 3, « On est les sans-chaussettes, mais on est là, debout »). Son courroux est intact à l’aube de l’« acte V » du mouvement, ce samedi 15 décembre.
« Ce n’est plus possible d’être gouvernés par des gens en décalage total », dit-elle avant de rappeler la polémique déclenchée il y a un an par une députée LREM qui s’était plaint, en « off », de devoir manger « pas mal de pâtes » alors qu’elle est indemnisée 5 000 euros par mois, soit 3 000 de moins que son ancien salaire. « Moi, quand je mange des pâtes, peste Élodie, c’est pas des pâtes aux fruits de mer ! » Ce mercredi midi, elle est venue à Voreppe les bras chargés d’une cagette de légumes récupérés au marché, pour faire la soupe au campement. Avec une paie de 1 300 euros net, elle n’est pourtant « pas la plus à plaindre ici », insiste-t-elle. Mais elle tient le pavé « pour les anciens, les chômeurs, pour les jeunes qui arrivent, qui méritent mieux que cette vie-là ».
Sa vie à elle, Élodie n’était pas sûre de vouloir l’étaler : pas envie d’être « mise en avant » et, imagine-t-on, de déballer la débrouille, les arrangements qui, une fois détaillés, égratignent un peu la dignité. « Mais si ça peut aider à faire passer le message des gilets jaunes… », a-t-elle concédé. Son mari, mécanicien, ne gagne pas beaucoup plus qu’elle. Ils sont parents de jumelles de 6 ans. Le foyer de quatre personnes tourne avec environ 2 900 euros par mois, incluant une allocation familiale de 131,16 euros. Pas suffisant pour échapper à un découvert « chronique » : « À partir du 20, je sais que c’est chaud, je n’achète plus rien », raconte la mère de famille, « très anxieuse sur l’argent ». Alors elle a délégué les comptes à son conjoint : « Quand j’ai vu qu’on ne s’en sortait pas, je ne dormais plus. »
Avec mon mari, on est parfois frustrés mais on se dit aussi que tout ce qu’on a, ça vient de nous, c’est à nous.
Issue d’une famille « modeste », dit-elle, elle a « toujours » vu ses parents – une mère longtemps au foyer, un père ouvrier – « galérer pour le moindre centime » : « Ça arrivait que ce soit mes grands-parents qui fassent les courses », précise-t-elle.