Jacky a lui aussi pris la plume. Avant même que le président de la République ne publie sa lettre aux Français, le retraité, pilier de la mobilisation des gilets jaunes du rond-point de Voreppe, en Isère (lire l’épisode 3, « “On est les sans-chaussettes, mais on est là, debout” »), avait déjà troussé sa missive, sur une feuille blanche, au stylo-bille. Sa « lettre à Manu » commence ainsi : « Très cher Président, toi Manu et tous tes prédécesseurs, vous êtes responsables, vous avez foutu la misère aux gueux, un jour viendra où vous devrez répondre de vos agissements et décisions, d’avoir appauvri les citoyens français d’en bas… » Depuis, Jacky ne s’est pas donné la peine de lire le courrier de son illustre correspondant. « Ça ne m’intéresse pas s’il rabâche toujours la même chose, s’il n’y a toujours rien pour les gens au ras du sol », décrète-t-il. Son message à lui se termine par un avertissement : « Surtout, n’oublie pas, Manu, on ne lâchera pas, on est toujours là. »
Jacky n’a en effet rien lâché depuis la mi-décembre (lire l’épisode 12, « Pour l’acte V, le mouvement patine »). Mais le plan de bataille a dû s’accommoder des aléas de la lutte. Sur le bord de la départementale 3, à la lisière de l’autoroute menant à Grenoble, la cabane, baptisée « Paradise II » – après la destruction d’un premier campement –, a fini par être rasée le 17 décembre par les gendarmes, obéissant à l’injonction de Christophe Castaner, le ministre de l’Intérieur, de « libérer » les ronds-points. À Voreppe, après le démantèlement, il restait encore dans le champ d’en face, en retrait de la route, une autre cahute, construite elle aussi aux débuts du mouvement. Elle a un temps servi de solution de repli, avant d’être déplacée de quelques mètres et agrémentée d’une sorte de mirador. Un matin, les gilets jaunes ont trouvé les poutres porteuses sciées, sabotées. Alors, le 27 décembre, ils ont décidé d’incendier le bastion qui menaçait de s’effondrer. Une belle flambée, dont la colonne de fumée était visible à plusieurs kilomètres à la ronde, manière de faire la nique aux bleus qui, eux aussi, ont pris l’habitude de squatter, carrés dans leur estafette, les abords du rond-point.
Depuis, Jacky rêve de reconstruire son Paradise perdu. Gardant toujours une carotte à portée de main, son légume emblème qu’il agitait au passage des voitures (en criant :