«Au début, il était super souriant. » Serge se voit encore entamer cet entretien « agréable » face à ce demandeur d’asile congolais. L’atmosphère est détendue dans le box aux murs crème. Et puis vient le moment d’aborder le passé du demandeur, son militantisme d’opposant politique qui l’a fait atterrir en prison. Voilà que le visage de l’homme se ferme, les yeux se vident, le ton devient monocorde. L’homme raconte : les geôles de l’ANR, la torture. Tout. Serge prend son récit en note sur son ordinateur. « Ce qu’il avait vécu en prison, il le racontait particulièrement bien. C’était imagé. Franchement, les geôles, tu t’y croyais. Il te racontait l’odeur et tu la sentais », raconte Serge.
Ces entretiens très durs, les officiers de protection (OP) de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) en mènent souvent. Ils écoutent les traumatismes, les corps qui jonchent le sol, le sang. Certaines histoires sont récurrentes, comme celles des femmes victimes de traite. « Elles sont parfois mineures, elles ont été violées pendant leur voyage pour les “former” à ce qui va leur arriver en France, puisqu’elles vont devoir travailler des années pour rembourser leur prétendue dette », se remémore Claire, une ancienne OP qui a quitté l’institution en 2018.
À force, les témoignages peuvent marquer les esprits des agents, douloureusement. Longtemps après son départ de l’Ofpra en 2011, Céline a continué de voir en cauchemar des têtes de réfugiés sans corps se mouvant devant elle. Depuis juin 2018, les OP peuvent désormais décharger le trop-plein d’émotions dans le cabinet d’une psychologue extérieure, aux frais de l’Ofpra. Mais pas plus de deux séances. « Au-delà, ils estiment que c’est toi qui as un problème », souligne Claire, qui a dû payer de sa poche pour être suivie par un psy plus longtemps. Dans certaines sections tenues par des chefs réputés durs, il est même parfois mal vu de débriefer avec ses collègues lors de réunions informelles. C’était le cas du service où travaillait Claire. Pourtant, les maux existent, partagés par de nombreux OP. Mais il y a des choses taboues : « Je n’ai jamais vraiment exprimé mes doutes auprès de mes collègues. Si je l’avais fait, je serais passée pour la faible de l’histoire », regrette Claire. Peut-être aussi se savait-elle peu en phase avec