Le changement climatique ayant fait passer aux Français une Toussaint à hauteur d’été indien, on a bien failli oublier que décembre serait peut-être rude. Emmanuel Macron, lui, avait prévenu bien trop tôt que cet hiver, il faudrait sortir les pull-overs. Nous sommes le 5 septembre, il fait 29,7 degrés sur Paris et il lance que la mesure la plus efficace pour économiser de l’énergie, c’est « baisser un peu la clim et mettre la température à 19°C ». Une injonction formulée lors d’une conférence de presse organisée à l’Élysée pour préparer les foules au plan de sobriété énergétique concocté pendant les grandes vacances. Résumons : la guerre en Ukraine se poursuit, la Russie a interrompu les livraisons de gaz fossile vers l’Europe, la moitié des centrales nucléaires françaises sont à l’arrêt pour des problèmes de corrosion notamment. Résultat, l’énergie risque de manquer l’hiver venu. Pour éviter les coupures de courant, il faut traquer les gaspillages. Et en tout premier lieu, d’après le Président, ceux liés au chauffage. Les troupes gouvernementales se mettent immédiatement au diapason du mot d’ordre mercurien
Derrière la com à gros sabots, plusieurs questions affleurent : qu’est-ce que la mesure pèse réellement ? Est-il possible de la mettre en œuvre de façon socialement juste ? Et que ne dit-elle pas ? Sur quels autres leviers pourrait-on
Le 6 octobre, le plan de sobriété du gouvernement est dévoilé au Parc des expositions de la porte de Versailles, à Paris. L’objectif est martelé : il faut sonner « la mobilisation générale » pour éviter les pénuries et les coupures de courant cet hiver et économiser 50 térawattheures (TWh), soit 3 % de la consommation finale énergétique française livrée au consommateur. Mais aussi se projeter dans la transition écologique, viser une économie de 10 % d’énergie d’ici à 2024 et de 40 % d’ici à 2050. Du coup Élisabeth Borne rappelle sa vision de la sobriété : « C’est un concept simple : des économies choisies plutôt que des coupures subies. » Une définition peu susceptible de déclencher l’enthousiasme général, mais soit… Le plan lui-même se présente comme un vaste catalogue d’écogestes que les Français sont invités à pratiquer dans tous les secteurs, du domicile des particuliers aux entreprises, en passant par les administrations. Au centre du plan, quinze mesures-phares. Et en premier, les 19°C pour la température des bâtiments. Le mot « chauffage » est écrit une soixantaine de fois dans le document récapitulatif.
Or les experts ne donnent pas tort aux génies de la sobriété que sont soudainement devenus les membres du gouvernement. L’association négaWatt a, par exemple, abouti à la même conclusion. Créée il y a plus de vingt ans par des professionnels de l’énergie, l’association érige la sobriété comme pilier de l’action de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Forts de leur longue expérience de terrain, ces experts ont identifié 50 mesures permettant d’atteindre les objectifs fixés par le gouvernement en supprimant les gaspillages, dont la majorité se situent en effet dans les bâtiments : couper la ventilation des bureaux quand il n’y a personne, envelopper son ballon d’eau chaude d’une jaquette façon thermos, limiter le débit des robinets et des douches… Mais aussi côté modes de cuisson sobres : couvrir ses casseroles, arrêter le four avant la fin de la cuisson, moins cuisiner de surgelés, etc. Et en tout premier lieu, régler la température à 19°C. Les campagnes de mesures de négaWatt ont montré que les logements hexagonaux, qui représentent 30 % de la consommation d’énergie en France, étaient en moyenne chauffés à 21°C. En baissant d’un degré, les économies s’établiraient à 8 %, à 16 % pour deux degrés en moins. « Traduit en térawattheures, c’est considérable : c’est le premier gisement d’économies d’énergie possibles, explique Olivier Sidler, porte-parole de négaWatt. Mais quel pourcentage de la population va respecter cela ? C’est la variable qu’on ne connaît pas. Si l’ensemble des consignes du gouvernement sont suivies, on peut atteindre très facilement les 10 % ; si personne ne fait rien, ce sera un échec total. »
Cette consigne à 19 degrés, fort peu respectée jusqu’à présent, a été fixée en 1978 en réaction au choc pétrolier de 1973 et on la retrouve dans l’article R241-26 du Code de l’énergie : « Dans les locaux à usage d’habitation, d’enseignement, de bureaux ou recevant du public et dans tous autres locaux […], les limites supérieures de température de chauffage sont, en dehors des périodes d’inoccupation […], fixées en moyenne à 19°C. » Seul souci : personne ne sait vraiment d’où vient ce totem des 19 degrés, plutôt que 18 ou 20, par exemple. Olivier Sidler rappelle non sans malice que des traités d’hygiène du début du XXe siècle fixaient la température idéale pour la santé à 12°C et que, cinquante ans plus tard, d’autres conseillaient 16°C dans les chambres et le séjour et seulement 14°C la nuit. Si bien qu’il ne semble pas hors de portée de s’adapter à 19°C. « Atteindre la neutralité carbone en 2050 nécessite de porter un regard différent sur nos exigences, de faire le tri entre nos besoins superficiels et essentiels », rappelle-t-il.
Aux quolibets qui ont accueilli les cols roulés gouvernementaux, Manuel Domergue, responsable des études à la fondation Abbé Pierre, répond lui aussi que les contempteurs feraient mieux de baisser leur thermostat en faisant profil bas. « 19 degrés, c’est une très bonne injonction, un outil de court terme simple, mais aussi un outil social », explique-t-il. Dans une copropriété où le chauffage est collectif, par exemple, le choix de la température et de la date de mise en chauffe fait bien souvent l’objet de tensions. « Ceux qui gagnent sont ceux qui sont en position de pouvoir et généralement cela aggrave la facture des plus modestes : avoir un seuil commun auquel se raccrocher peut aider à trancher ces conflits, on a besoin de régulation collective », explique Manuel Domergue.
19 degrés, c’est une mesure-phare, mais il faut un récit plus large et plus social, or il n’y a rien pour ceux qui ne peuvent même pas se chauffer à 17 parce qu’ils vivent dans des passoires.
Reste que pour que le plan se déroule sans accroc, il s’agit d’embarquer un maximum de passagers sur le navire de la sobriété volontaire. « Car la sobriété, c’est ce qui ne coûte rien, ce sont des gestes et des choix, des changements de comportement vers les économies d’énergie. Mais pour que ça marche, il faut que tout le monde fasse un peu tout », précise Olivier Sidler. Or les temps ne sont pas réellement au sentiment d’effort partagé. « Quelle est l’acceptabilité d’un tel plan ? Aucune mesure sociale n’y est adossée », note Meike Fink, porte-parole du Réseau Action Climat (RAC), qui craint qu’une fois le printemps revenu chacun se détende sur les écogestes, au risque de plomber tous les objectifs de long terme en la matière. « 19 degrés, c’est une mesure-phare, mais il faut un récit plus large et plus social, or il n’y a rien pour ceux qui ne peuvent même pas se chauffer à 17 parce qu’ils vivent dans des passoires », ajoute-t-elle. Il est en effet facile d’imaginer que si les près de cinq millions de passoires thermiques hexagonales étaient déjà des logements à basse consommation d’énergie, la crainte d’un black-out cet hiver serait moindre. « Cela fait vingt ans et quatre présidents de la République qui sont au courant de ce qu’il faut faire en matière de rénovation. si cela avait été suivi d’effets, on n’en serait pas là où on en est, c’est un scandale », tonne Olivier Sidler.
Emmanuel Macron, avant de faire la promo du 19 degrés, avait fait celle de MaPrimeRénov’, principal dispositif d’aide à la rénovation énergétique pour les particuliers. L’objectif présidentiel : réhabiliter 700 000 logements par an. C’est à peine plus que ce que MaPrimeRénov’ a permis en 2021 (644 000 subventions accordées)… et il s’agit essentiellement de changement de chaudière ou de fenêtres. L’Agence nationale de l’habitat comptabilise moins de 60 000 rénovations « globales », c’est-à-dire avec une économie d’énergie d’au moins 35 % à la clé. Selon les experts interrogés par Les Jours, pour massifier ce type de rénovations, il faudrait les rendre obligatoires et financer à 100 % les ménages les plus modestes. Et, en lieu et place des 100 malheureux millions d’euros supplémentaires prévus dans le projet de loi de finances 2023, doubler le budget de MaPrimeRénov’, pour l’établir entre quatre et cinq milliards d’euros. « C’est un dixième du bouclier tarifaire, un dispositif antiredistributif qui favorise les plus riches puisqu’ils consomment plus d’énergie. Mais on est le nez dans le présent ! Pour les ménages, cela se comprend, mais le gouvernement devrait être le gardien du temps long !, fulmine Manuel Domergue. La sobriété, c’est un chemin individuel mais aussi collectif et qui doit être juste socialement. » Au lendemain de la Toussaint, le gouvernement a explicitement choisi le temps court. Sur la toute fin de l’examen de la seconde partie du projet de loi de finances, deux amendements