C’est elle qui a choisi le pseudonyme de « Mahsa », en hommage évident à Mahsa Jina Amini, jeune étudiante morte le 16 septembre 2022, trois jours après avoir été arrêtée pour « port de vêtements inappropriés », marquant le début d’une révolte inédite en Iran. « Mahsa », donc, nous écrit de Téhéran pour témoigner de ce qu’elle appelle une « révolution ». Chacun de ses messages aux « Jours » se termine par ces mêmes mots, devenus emblématiques du mouvement : #femmevieliberté. Voici le quatrième avec une surprise puisque, pour la première fois, nous la rencontrons en vrai : « Mahsa » a quitté l’Iran pour la France.
«J’ai décidé de quitter l’Iran pour l’instant. À Téhéran, j’ai de la place pour mon activité artistique et la vie était moins chère mais là, avec l’inflation, ça fait des mois que je n’ai pas acheté de viande. Et puis, avec la neige qui est tombée brusquement, avec le froid, avec les grèves et la mauvaise gestion du gouvernement, on a des coupures de gaz pendant toute la journée. D’ailleurs, l’Iran utilise la même propagande que la Russie avec des clips disant que l’Europe va avoir froid en se coupant des ressources énergétiques avec ce slogan : Winter is coming. Maintenant qu’il y a un mètre de neige à Téhéran, c’est devenu une blague chez les Iraniens : Winter is here ! Il y a des kilomètres de queue devant les boulangeries. Mon père me disait qu’il n’avait jamais vu une situation aussi grave depuis la Deuxième Guerre mondiale. La vie est tellement frustrante en Iran. Pour ma santé mentale, j’ai voulu arrêter d’écouter les infos… C’était frustrant aussi de ne pas savoir comment participer plus à la révolution, ça me fait vraiment du bien de témoigner pour vous, c’est ma petite contribution.
On vit dans la peur et la paranoïa. Dans nos conversations sur nos téléphones fixes, on entend toujours un “clic-clic”. Mais combien sont-ils pour nous écouter, nous surveiller ?
À l’aéroport, jusqu’au dernier moment, je n’étais pas sûre de pouvoir partir. J’ai eu un problème parce que j’ai reçu un texto me rappelant qu’il fallait porter le hijab et un autre me disant que mon activité sur internet était surveillée. Je suis passée sans hijab à la douane et le fonctionnaire a contrôlé mon passeport où, sur la photo, je porte mon hijab, et il m’a regardée avec un air suspicieux. Je lui ai dit : “Vous voulez que je le remette pour que vous me reconnaissiez ?” Il m’a répondu : “Non, non, partez, sauvez-vous.”
J’ai tout laissé derrière moi, mes livres, mon chat… Je vis dans l’un des quartiers les plus révolutionnaires de Téhéran, il se passe toujours quelque chose, ça crie en permanence, même la nuit (lire l’épisode 1, « “Je me bats, je meurs, je libère l’Iran” »).