Dans le train qui ramène Mahmoud, Souhayr et Tammam Jaamour de Nantes à Saint-Nazaire, la question fuse soudain de la bouche du père, dans un français un peu hésitant : « Le Pen présidente, c’est possible ? » L’aîné des cinq fils embraye : « Que va-t-il se passer si elle devient présidente ? » D’un seul coup, la famille de réfugiés syriens se demande comment sa vie en France sera possible si… Mahmoud reprend, traduit par son fils cette fois : « Mais si Le Pen passe, pourrons-nous rester ? » Tammam explique : il craint un « retour en Syrie, ou en Turquie… » Silence dans le wagon.
« C’est terrible. Nous avons fui la guerre et le racisme. C’est comme si ces horreurs nous poursuivaient », poursuit le jeune réfugié arrivé avec ses parents et trois de ses frères à Saint-Nazaire le 20 septembre dernier (lire l’épisode 15 de L’exil des Jaamour). Il a pourtant, comme ses parents, encore du mal à comprendre le paysage politique français. Des noms, ils en ont retenu quelques-uns : Macron, Le Pen, Mélenchon, Fillon essentiellement. « Macron, il est de droite ou de gauche ? », interroge encore le jeune homme. Pourquoi ces questions surgissent-elles à cet instant ? Voilà 24 heures que j’ai retrouvé la famille Jaamour, et aucune de nos précédentes discussions n’avait porté sur le sujet. C’est que, quelques minutes plus tôt en ce 25 avril, deux jours après les résultats du premier tour de la présidentielle, les Jaamour étaient, avec une douzaine d’autres immigrés, dans les bureaux nantais de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii) pour signer leur « contrat d’intégration républicaine » (CIR). Un acte symbolique crucial qui inscrit noir sur blanc leur nouvelle vie française.
Le matin de ce jour important, le réveil sonne à 6 heures. Le référent social des Jaamour, Henri Loua, a acheté les billets de train pour les trois membres majeurs de la famille convoqués à Nantes. Le bus ne fonctionne pas encore, ils se rendent à pied à la gare. À 8 h 20, les voilà devant les locaux de l’Ofii en train d’avaler du pain fourré au fromage et aux épices concocté par Mahmoud. Et les Jaamour s’interrogent : « Allons-nous savoir quand nous déménagerons ? », demande Souhayr, alors que la famille doit quitter Saint-Nazaire pour Rouen (lire l’épisode 7, « Il va encore falloir s’en aller »). « Est-ce que nous allons avoir déjà des cours de français ? », veut savoir Mahmoud. Pour eux, le déroulé de la journée est encore flou.
La participation aux journées de formation permet aux signataires d’avoir des informations importantes dans le cadre de leur parcours d’intégration. Ils peuvent également bénéficier de cours de français gratuits pris en charge par l’État.
8 h 30, les portes s’ouvrent, un agent de l’Ofii fait l’appel et demande à chacun de présenter sa convocation.