Une rédaction qui rompt mais ne plie pas. C’était il y a cinq ans exactement : face à un Vincent Bolloré qui, tel un mur, refusait leurs revendications, les journalistes d’i-Télé mettaient fin à 31 jours de grève. Et, dans leur grande majorité, décidaient que ce serait sans eux. Sans eux que Jean-Marc Morandini serait à l’antenne, sans eux qu’i-Télé deviendrait CNews. Que reste-t-il des grèves, des années après ? Que retient-on des motifs, des revendications ? Chez i-Télé, ils étaient déontologiques – un gros mot dans l’empire Bolloré. Reste la force d’un mouvement qui, à ce moment-clé, a décidé de dire non.
Cinq ans après, on mesure l’importance de ce non : CNews est devenue un haut-parleur réac, abreuvé tout au long de la journée par des polémistes de droite extrême qui y ont table ouverte. Cinq ans après, Éric Zemmour, la tête d’affiche de la chaîne, installé là personnellement par Vincent Bolloré pour y décliner sans contradiction, jour après jour, son programme raciste, xénophobe, putride, et propulsé à dessein sur l’avant-scène politico-médiatique, est en passe de se présenter à l’élection présidentielle. Cinq ans après, l’empire de Vincent Bolloré s’est encore agrandi, son emprise s’exerçant désormais sur les médias du groupe Lagardère, Europe 1 en tête devenue la succursale de CNews.
Il y a cinq ans, la rédaction d’i-Télé ne savait rien de tout ça – même si, pendant la grève, comme un épouvantail à journalistes, le nom de Zemmour était déjà avancé par la direction – mais elle le pressentait au point de prendre la décision folle de démissionner en masse. Ce mercredi 16 novembre 2016 au matin, dans les locaux d’i-Télé, se tient la dernière assemblée générale. Antoine Genton, président de la Société des journalistes qui a mené le combat, va lire le texte de sortie de grève mis au vote (à lire dans l’épisode 42, « “Ce combat fut celui de notre indépendance éditoriale” »). Et puis le journaliste Jean-Jérôme Bertolus prend la parole : il annonce son départ. Suit Florent Peiffer, qui présente la matinale : il annonce son départ. La reporter Léa Barracco annonce son départ. Et c’est, presque deux heures durant, comme des dominos qui s’abattent, une flopée de départs qui s’enchaînent, une rédaction en larmes, exténuée par un mois de lutte, qui n’a d’autre choix que celui de partir. Il y a cinq ans, comme tous les journalistes qui avaient suivi le mouvement,