Mersin, envoyé spécial
Nedim a un visage de gamin, plein de taches de rousseur, des yeux rieurs d’un marron clair. Il est Syrien, a 23 ans, faisait ses études d’économie à Alep jusqu’à ce que la guerre le pousse sur la route. 1 000 dollars (900 euros) pour rejoindre la Turquie, après avoir quitté son pays par le Liban. Il travaille à Mersin, au sud de la Turquie. Une ville sans beaucoup d’âme, au bord de la Méditerranée. La partie la plus intéressante est vers le port industriel, au sud de la ville. Le reste n’est qu’une ennuyeuse succession d’immeubles et de résidences fermées rangés en face de la mer. Les plages s’enchaînent sur plus de 20 kilomètres.
Nedim est serveur dans un très bon restaurant au bord des flots, ouvert récemment par quatre frères syriens, à deux pas des établissements turcs qui regardent ces nouveaux voisins de travers. À Mersin, les Syriens sont nombreux et rarement bienvenus. Ce qui permet de vérifier que le rejet des réfugiés, en Turquie comme ailleurs, ne tient pas seulement aux tensions sur les marchés du travail et du logement (lire l’épisode 18, « Les Syriens en Turquie, une vie de seconde zone »). Mersin est une ville touristique où l’on vit également du port et de la raffinerie du pétrole. Il y a peu de chômage, l’arrivée massive des Syriens ne représente pas une concurrence de main-d’œuvre. Mais on se mélange guère. Les plages sont publiques, mais dès qu’une famille syrienne s’y installe, les Turcs s’éloignent et vont s’asseoir un peu plus loin. Résultat : il y a désormais à Mersin des plages où l’on ne trouve que des Syriens, et d’autres où ne vont que les Turcs.

En arrivant le matin, avant de faire la connaissance de Nedim, on s’était arrêtés sur la terrasse d’un café de plage. On venait de faire la route depuis Gaziantep, 300 kilomètres jusqu’à Mersin, envie d’un bon café. Apprenant que nous travaillions sur les réfugiés en Turquie, le patron (turc), cheveux poivre et sel rangés en arrière, moustache touffue, nous avait dit : Allez vous promener, vous les verrez partout. Vous n’aurez pas de mal à les reconnaître, ils ne respectent pas les règles.
Comme je lui demandais quelles règles, il avait haussé les épaules. Ils font du bruit, ils prennent leurs parasols au lieu d’en louer, et ils ne consomment que dans les bars syriens.
Il s’en est ouvert beaucoup ces dernières années, ce qui fait, selon lui, grimper le prix des concessions.