Envoyé spécial à Istanbul
On ne les entend jamais, on ne les lit jamais. C’est une masse indistincte, dont on ne distingue que les cris en faveur d’Erdogan et d’Allah. Depuis deux semaines, des centaines de milliers de Turcs investissent chaque soir les rues d’Istanbul et d’autres grandes villes de leur pays, pour fêter la victoire de la démocratie
, l’échec du coup d’État du 15 juillet (lire l’épisode 24, « La Turquie accuse l’après-coup »). Le Président Recep Tayyip Erdogan a demandé au peuple de garder la rue ? La foule débarque par groupes sur les places en fin d’après-midi. Certains viennent en voitures, drapeaux aux fenêtres, klaxons enfoncés, d’autres par les transports en commun. Plus personne ne paie dans les bus, le métro, les bateaux, ils sont complètement gratuits depuis le coup d’État manqué et la mesure a été prolongée cette semaine jusqu’au 31 juillet au moins.

Dans le centre d’Istanbul, sur la place Taksim, interdite depuis des années à tout rassemblement public, une scène géante à la sonorisation ultra-puissante a été installée, on l’entend à des centaines de mètres à la ronde, des camions distribuent gratuitement de la nourriture, de l’eau. Les grands moyens (publics) ont été déployés par la mairie. Sur les écrans, entre deux marches ottomanes, un film réalisé comme la bande-annonce d’une superproduction américaine chauffe la foule à blanc, mêlant des images de la nuit du 15 juillet, des témoignages de citoyens qui se sont dressés devant les chars, des civils murmurant sur des lits d’hôpitaux, des cris, des pleurs, des grondements, sur une musique dont les basses font trembler tout le quartier. Disséminés dans le film, des plans du Président Erdogan, notamment la désormais mythique séquence dans laquelle il parle à son peuple depuis son téléphone portable via l’application Facetime. Les visages sont graves devant le film, puis la joie reprend, les drapeaux s’agitent, les supporters dansent, crient.
Qui sont-ils ? Qu’est-ce qui les lie à leur Président, pourquoi l’aiment-ils ? Que pensent-ils de ses purges ? De Fethullah Gülen, que le pouvoir accuse d’avoir organisé le putsch ? De la religion qui, désormais, envahit tous les soirs l’espace public en Turquie ? Galerie de portraits en deux volets de ces supporters qui ont l’impression, depuis quinze jours, de participer à l’histoire en temps réel, une mythification soigneusement orchestrée par le pouvoir en place.
Depuis le 15 juillet, Erran et Bahar viennent tous les soirs sur la place Taksim, parfois avec leurs parents.