Bruxelles, envoyé spécial
Au procès LuxLeaks, qui s’est terminé le 11 mai – et dont on attend le délibéré le 29 juin –, les vrais coupables n’ont pas été jugés. Le Luxembourg s’est attaqué à deux lanceurs d’alerte, Antoine Deltour et Raphaël Halet, ainsi qu’à un journaliste, Édouard Perrin, qui ont agi pour l’intérêt général. Mais la justice a complètement oublié ceux qui, au sein du cabinet d’audit, de l’administration fiscale et du gouvernement, par la grâce de rulings accommodants, ont participé à la mise en place d’un immense système d’évasion fiscale au profit des multinationales.
À vrai dire, on ne s’attendait pas à moins. Scandale international ou pas, le Grand-Duché n’allait pas, du jour au lendemain, abandonner sa culture du secret et du laissez-faire pour s’attaquer à ceux qui lui ont permis de devenir l’un des pays les plus riches du monde.

Mais, pour traquer les vrais responsables, il existe une autre enceinte : l’Europe. Et plus particulièrement la commission Taxe, créée par le Parlement européen début 2015 pour enquêter sur l’affaire LuxLeaks. Au moment de sa mise en place, certains en espéraient beaucoup. Nous, eurodéputés, nous devons en savoir le plus possible. L’injustice qui est faite aux citoyens de l’Union est trop grande
, déclarait alors au Monde Éva Joly, députée membre du groupe des Verts européen. Aujourd’hui, même si plus grand monde n’en parle, cette commission est toujours en activité. Et Les Jours ont décidé d’aller voir ce qui s’y passe. Notamment pour savoir si le Luxembourg et les multinationales étaient mis sur le gril, comme peuvent l’être les responsables économiques aux États-Unis ou en Grande-Bretagne, lors de hearings médiatisés et souvent tendus.
Le 21 mars, nous étions ainsi à Bruxelles pour assister à une séance publique de la commission. Ce jour-là, plusieurs banquiers européens étaient invités pour parler de la stratégie fiscale de leurs clients, et notamment des multinationales
. À la tribune, un Français mène les débats. Il s’agit d’Alain Lamassoure, un politicien proche d’Alain Juppé dont on peut dire pudiquement qu’il a de l’expérience. C’est lui qui a été choisi par le Parti populaire européen (PPE) pour présider la commission. Dans la salle, un vaste hémicycle du bâtiment Joszef Antall, des dizaines de députés, leurs collaborateurs, des fonctionnaires européens. Devant, isolés, les premiers auditionnés : Jean-Charles Balat et Rob Schipper, directeurs fiscaux respectivement du Crédit agricole et d’ING.
Première découverte, il ne s’agit pas à proprement parler d’une audition mais d’un échange de vues
, comme l’explique Lamassoure.