Safya a quitté l’EI pour des motifs matériels et familiaux, plus que par rupture idéologique. Son bébé est la principale raison de son retour en France. Un jour, venue dans un hôpital de Raqqa pour une échographie, elle assiste à un accouchement. Au détour d’un couloir, elle aperçoit une jeune femme soutenue dans la douleur par sa mère, contrainte de mettre son enfant au monde sans péridurale. Safya a comme un flash. Elle ne s’imagine pas accoucher dans de telles conditions, sans sa mère et sans péridurale. « Franchement, j’admire les femmes qui accouchent en Syrie. Y a plein de femmes qui accouchent là-bas. Elles sont pas toutes mortes. Mais là-bas, ils savent pas trop faire les péridurales. Tout le monde le déconseille, donc elles accouchent sans péridurale. Moi, c’était pas possible. J’avais peur. Niveau hygiène, c’est loin d’être la France. Et psychologiquement, c’est trop dur d’entendre sa mère pleurer, te supplier de revenir. J’attends un enfant, elle me disait que j’allais le priver de tout ça, que j’avais pas le droit. Des paroles qui touchent forcément. »
Dès cette prise de conscience, Safya s’en ouvre à son mari, un combattant français, et lui enjoint de trouver une solution pour rentrer en France le plus vite possible. « On avait demandé à la dawla de partir, on a voulu jouer vraiment la carte sincérité, sauf qu’ils nous ont dit non. Donc là, je me suis dit : “Je suis une femme libre, je fais ce que je veux. Si je veux partir, je pars, je suis pas en prison.” Donc on a décidé de se cacher et de partir. Mais sinon, c’est interdit et c’est super dur de quitter la dawla. »
Le couple parvient à fuir en se fondant dans le flot des réfugiés, avec un groupe de migrants. En Turquie, après quelques jours de tourisme dans un hôtel à Istanbul, tous deux se présentent au consulat de France, qui les fait arrêter par la police turque, plutôt bienveillante à leur égard. « Les flics turcs, ils étaient tellement cool, on a paniqué. Ils nous ont pas mis les menottes, y en a un, il nous dit : “Oui, dawla, ils ont raison.” Il disait que la France, c’étaient des gros pourris. On s’est regardés, on s’est dit : “Putain, merde, c’est quelqu’un de dawla.” » En fait, ce sont bien d’authentiques policiers turcs, qui les conduisent vers un centre de rétention administratif avant leur renvoi en France, où la police les attend. Contrairement à Safya, son compagnon est actuellement incarcéré en France, vraisemblablement pour plusieurs années.

Le mari de Safya savait qu’au retour, les autorités françaises l’attendraient de pied ferme : il avait fait une vidéo se félicitant des attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Casher, appelant à commettre de nouvelles attaques en France.