En France, à 4 000 kilomètres de Mayadin, en Syrie, et de l’hôpital de fortune où il gît le ventre troué d’une balle, les parents de Yassin ne dorment plus. Dans un souffle crispé, sa mère résume la situation : C’était terrible. Un vrai cauchemar.
La famille entière vit suspendue au moindre appel, à la moindre notification WhatsApp venue de Syrie. Juste après son départ, une des sœurs de Yassin avait reçu un coup de téléphone d’une femme l’informant que son frère était en Syrie. L’indicatif était celui de la Grande-Bretagne. Les jihadistes utilisent souvent des applications permettant de générer de faux numéros.
Notre vie, c’était le téléphone. Même pour aller aux toilettes, c’était à tour de rôle pour que toujours, l’un de nous décroche rapidement.
Sa mère, Nadia, ne peut contenir ses larmes. On se dit :
Elle s’interrompt, émue, respire profondément, puis reprend. C’est pas possible.
Vous tombez du 16e étage. Vous le voyez mort. Tous ceux qui partent en Syrie, ils meurent. Donc pour moi, j’ai perdu mon fils à jamais. Je pensais à tout… Je pensais à ne plus vivre…Je retenais tous les numéros, j’envoyais :
Les nouvelles arrivent au compte-gouttes. S’il vous plaît, par pitié, dites à mon fils de me contacter, par pitié.
J’essayais de les attendrir pour qu’il me contacte. Et bon, après, le lendemain, des fois, il envoyait un message sur WhatsApp.Notre vie, c’était le téléphone. Même pour aller aux toilettes, c’était à tour de rôle pour que toujours, l’un de nous décroche rapidement. Une fois, il a appelé, on était en voiture, on rentrait dans un tunnel et il a appelé.
Oh… Allô ?
Et ça a coupé. Et il n’a pas rappelé après. C’était terrible.

Les parents de Yassin sont musulmans pratiquants. Son père, Fayçal, discret, la silhouette élancée, fréquente une de ces mosquées françaises que les jihadistes considèrent comme apostate. Sa femme Nadia termine souvent ses phrases à sa place. Chaleureuse, expressive et énergique, elle ne porte pas le voile.
Sitôt le départ de leur fils, ils prennent un avocat, alertent les autorités françaises et se demandent quoi faire. La famille vit en province, installée dans une belle et imposante maison dans laquelle ses membres racontent leur histoire aux Jours, un après-midi hivernal. Un quartier pavillonnaire, moderne et cossu. À l’intérieur, de grands volumes, de vastes canapés et une décoration soignée. De larges baies vitrées lumineuses ouvrent sur un jardin verdoyant et une balançoire plantée dans la pelouse. Leur fils et ses sœurs n’ont pas grandi dans un quartier populaire. Les enfants ont été poussés à réussir à l’école et font des études.