Sous la férule de l’État islamique (EI), chaque province est administrée par un wali, chaque ville par un émir. Un combattant, souvent irakien ou syrien, âgé en général d’une trentaine ou d’une quarantaine d’années occupe ce poste. En arrivant, après enregistrement de son identité complète, le père de Yassin est donc conduit dans le bureau de l’émir de Mayadin. « Donc, raconte-t-il aux Jours, je me présente, j’explique : “Voilà je viens voir mon fils.” Il a appelé quelqu’un, il lui a dit : “Vous l’accompagnez voir son fils.” »

L’insurrection jihadiste se perçoit et se vend dans sa propagande comme un État. Dès sa prise de contrôle, le groupe a imposé sur ses territoires, par la force et la terreur de son armée, une administration proto-étatique rudimentaire mais efficace. Une autorité à hiérarchie pyramidale, divisée en provinces avec, dans chaque chef-lieu, un wali, équivalent d’un préfet. Lui-même s’appuie sur les « marqama », les tribunaux islamiques qui appliquent une charia littéraliste avec une police en forme d’hydre tricéphale en grande partie composé d’étrangers : la « hisbah » pour les petits délits, la « shorta » pour ceux passibles, selon l’EI, de la peine de mort et les « emni », son service de renseignement chargé de traquer les espions, instaurant la peur au sein même de l’organisation.
Les wali s’appuient aussi sur la jurisprudence islamique de la maison des fatwas, basée à Raqqa. C’est cet organe, dirigé par un Égyptien, qui a notamment rendu licite, en islam, le fait de brûler vif dans une cage un pilote jordanien dont le F16 s’était écrasé. Le tout filmé en multi-caméras avec ralentis, gros plans, effets sonores, et mise en scène inspirée des films d’horreur hollywoodiens. Mais en vrai.
Là-bas c’est pas comme ici : il n’y a rien. Pas de chirurgiens, pas de soins appropriés, pas de système de santé….
Sur ordre de l’émir, des jihadistes conduisent Fayçal jusqu’au centre de convalescence. Il pousse la porte et, au milieu des autres blessés, allongé sur un matelas, il retrouve enfin son fils. Dans un piteux état. Les deux hommes ne se sont pas vus depuis des mois. Il est fatigué, amaigri, pas bien. Il a reçu une balle au niveau du ventre, avec fracture du bassin, pas mal de choses, des lésions importantes. Il n’est pas mobile, il pesait moins de 40 kilos pour 65 kilos d’habitude. Là, je suis inquiet. Je me demande d’abord quel est son problème et surtout comment le faire sortir dans cet état. Là-bas, c’est pas comme ici : il n’y a rien. Pas de chirurgiens, pas de soins appropriés, pas de système de santé…
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Yassin, lui, n’en revient pas d’avoir entraîné son père, sa mère et ses petites sœurs dans une galère si dangereuse, un endroit si éloigné de la France, hostile et finalement improbable.